[ITW] Omerta Project, agir pour faire réagir

undefined 6 décembre 2018 undefined 12h00

Lucas Javelle

Samedi 15 septembre, tôt dans la matinée. Barbès s’éveille et découvre avec surprise une mystérieuse carotte de tabac accrochée à l’angle du métro. Ce n’est pas un heureux hasard, mais l’œuvre du collectif anonyme Omerta Project.

 

L’équipe y voit là un simple constat du phénomène de vente de cigarettes à la sauvette. Deux mois avant, ils s’attaquaient au sujet du crack, fort présent porte de la Chapelle. Dernièrement, ils répondaient au projet de péage urbain d’Anne Hidalgo en dressant, porte de Clichy, un péage solidaire lié à la question des réfugiés. Ni accusateur ni dénonciateur… Ni supporteur. Omerta Project ne voit là qu’un moyen de susciter la réaction des gens, sans pour autant donner de clé de lecture. Loin des médias, loin de la starification, Omerta s’expose uniquement sur Instagram. Avec une devise forte : « Frappe d’abord, pose les questions ensuite. » En catimini, ils ont accepté de répondre aux nôtres.


C’est quoi, Omerta ?

C’est avant tout un groupe de potes qui a envie de faire. On a tous des parcours, des activités professionnelles et des passe-temps différents, mais la volonté de faire est omniprésente. Elle nous unie.


Une volonté de faire quoi ?

En l’occurrence, faire et célébrer les créations de la société. On institutionnalise les choses que la société refuse de voir ou de prendre vraiment au sérieux. On leur met sous le nez, en plein milieu du visage. Après, le pourquoi du comment nous est propre. On n’a pas forcément envie de l’exposer. Chacun a ses motivations qui lui sont personnelles dans le groupe.

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Il y a eu un déclic, un élément déclencheur, pour que vous vous lanciez dans cette aventure ?

Franchement, non. Ça s'est fait naturellement. Il y en a un qui lance l'idée, les autres disent qu'ils sont chauds et voilà. On se connaît tous depuis un petit moment, chacun a une expertise qui lui est propre et on est tous complémentaires. On pourrait rentrer dans le genèse du projet, mais ça serait trop long, et on souhaite s’imposer des limites en terme de communication. Pour comprendre Omerta, il y a juste à savoir qu’on est tous plus ou moins Parisiens de naissance (intramuros et extérieur), majoritairement de Paris Nord.


Porte de Clichy, porte de la Chapelle, Barbès… On comprend mieux, oui.

Tout ce qu’on a fait jusqu’à présent, c’est des choses qu’on voit et qu’on vit au quotidien. C’est très logique que l’on s’attaque à ces sujets-là, mais ça ne veut pas forcément dire que l’on va s’y cantonner.


Vous vous verriez ailleurs – peut-être d’abord le reste de Paris avant de s’attaquer à d’autres villes ?

On ne se refuse rien, on ne se ferme à rien. Toutes nos créations, jusqu’à présent, sont visibles juste parce qu’on les met en exergue. Chaque ville a ses propres activités, ses propres phénomènes. On pourrait très facilement élargir notre champ d’action. On s’est d’abord simplement attaqué aux sujets qu’on a déjà sous les yeux depuis qu’on est gamins.


Quels sujets vous inspirent en général ?

L’injustice, la connerie, l’absurde… Certains d’entre nous, à titre personnel, aiment simplement mettre à la face des gens des sujets ou phénomènes sur lesquels ils ont l’habitude de fermer les yeux. C’est un travail d’équipe, organique. L’idée peut venir de n’importe lequel d’entre nous. C’est tout l’intérêt d’Omerta : comme il n’y a pas de nom ou de leadership, il n’y a pas de starification personnelle.


Ça serait dangereux de trop "personnifier" Omerta ?

Ça peut l’être. En tout cas, tu en perdrais l’essence. On ne sait pas comment ça va évoluer, mais on sent que juste ça, ça n’a pas d’intérêt. On n’est pas intéressants en tant que personnes – et on n’a pas non plus la prétention que ce qu’on fait le soit. On aspire tous à faire parler le travail avant de faire parler de nous. On a une vie en parallèle, ça nous suffit.

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Ça engage une confiance mutuelle véritable.

Bien sûr. C’est pour cela que ça marche entre nous. On se connaît tous depuis super longtemps. Avant de faire ces "conneries"-là, on en faisait déjà d’autres ensemble. C’est quelque chose qui s’est construit avec le temps. La vie, c’est une question de timing. On a passé un âge où l’on sait qu’on peut faire les choses sérieusement et que chacun peut compter sur les autres.


Pourquoi avoir choisi Instagram comme unique moyen de communiquer ?

Le seul réseau social d'images qui fonctionne vraiment, ça reste Instagram. C'est bien pour le côté visuel. Ça ne veut pas dire que demain, on ne s'ouvrira pas à d'autres choses, mais ça nous étonnerait. On a tous des activités et de vies en parallèle, on ne peut pas passer tout notre temps sur Omerta. Nos images suffisent largement et parlent d’elles-mêmes.s


Paris, c’est votre terrain de "jeu". C’était important de faire ça ici ?

C’est notre ville de cœur. On est nés ici. Pour le coup, ce qui est rare, c’est qu’on est tous des purs Parigots. C’est une espèce en voie de disparition. (Rires)


Vous vous adressez plus à eux qu’à la ville de Paris ?

Vu qu’on s’attaque à des créations de la société parisienne, forcément, les Parisiens sont plus réceptifs parce qu’ils les ont vécues. Comme on parle avec des images, et qu’on donne quand même quelques éléments de lecture pour remettre le sujet dans son contexte, on arrive quand même à parler à tout le monde. On essaye d’ouvrir pour qu’un maximum de monde puisse comprendre.

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Vous trouvez que la ville a changé ?

Tu constates une gentrification générale. Mais bon, c’est monnaie courante à toutes les grandes villes. C’est toujours la même chose : la misère sociale, on la repousse et on laisse les bobos avec les bobos. Ça ne veut pas dire qu’on en fait pas partie, c’est simplement un constat. Des changements, il y en a eu, c’est certain. D’autant plus dans les quartiers où l’on habite. Paris, ça reste Paris. C’est dur pour nous d’être objectifs sur le sujet. Quand tu es né à Paris et que tu y as vécu toute ta vie, tu n’as pas trop de recul là-dessus. Tu grandis en parallèle de l’évolution de la ville. Mais des problèmes, il y en a toujours eu.


Vous arrivez à faire réagir les gens ?

Il y a même une pluralité de réactions. On les amène à réfléchir par eux-mêmes. Mais ils n’arrivent pas à nous situer. Parfois, deux personnes qui ont la même opinion ne réagissent pas pareil. L’une va penser qu’on partage la sienne, tandis que l’autre va penser le contraire, et nous insulter. Certains pensent qu'à Barbès, on a mis la carotte juste pour que la police ou la mairie réagissent. D'autres que c'est pour soutenir les vendeurs de cigarettes. Nous, on s’en fout. S’il y a des bons retours, tant mieux. S’il n’y en a pas, ce n’est pas grave. On reçoit énormément de messages de soutien. Même si les gens ne comprennent pas trop pourquoi on fait ça, on ressent vraiment un engouement autour du truc.


L’État doit probablement avoir aussi son mot à dire.

On n'en sait rien. Ça serait le comble qu'on se fasse, nous, sanctionner. On ne fait que mettre des mots et des images sur des créations de la société. Si quelqu’un doit être réprimandé, c’est bien la société elle-même. On ne fait rien de mal. À part quatre trous dans un mur, on n'a jamais rien détruit.


Pourquoi ne pas simplement tout expliquer ?

On n’expose pas nos motivations parce qu’on reste dans cette idée qu’on ne veut pas dévoiler nos intentions. Peut-être que ne pas donner de clé de lecture, c’est aussi ce qui nous démarque. Peut-être qu’on soutient les buralistes. Peut-être qu’on soutient les vendeurs de Marlboro. La réponse peut être différente pour chacun d’entre nous, et on n’a pas envie de le dire.


Du coup, les gens ont du mal à vous ranger.

Pour certains, on est considéré comme des petits militants de gauche qui défendent les roumains de Clichy. Pour d’autres, on est des fachos. On oblige les gens à se poser des questions par eux-mêmes. Quand tu es riverain, ça fait tellement partie de ton quotidien, de ta "routine visuelle" que tu n’y fais plus attention. Là, il suffit de mettre un symbole fort, ne serait-ce qu’une journée. Et tout le monde va repenser au sujet.

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C’est pour cela que vous êtes plus orientés social que politique ?

On n’a pas d’orientation précise. On fait avec ce qu’on maîtrise pour l’instant. Ça pourrait nous intéresser de nous y attaquer, mais c’est un domaine qui a été plus qu’exploité ; ça en devient assez dur d’innover. On ne se ferme aucune porte, ça sera vraiment au feeling. On le fait avant tout pour nous, même si on a un fil rouge en tête.


Il consiste en quoi, ce fil rouge ?

Continuer à faire ce qu’on fait. Ne pas trop se poser de questions, rester dans le freestyle. Ne pas trop rationaliser, parce que plus tu réfléchis à ce que tu vas faire et à tes objectifs, moins tu vas réussir. Tu vas te mettre tout seul des bâtons dans les roues à trop intellectualiser. C’est pour ça que notre devise, c’est : « Punch first, ask questions later. » Faisons-le, et seulement après, viens, on réfléchit sur pourquoi on a fait ça.


Pourrait-on imaginer un grand coup final au bout du fil ?

Comme une montée en puissance jusqu’à atteindre l’apothéose ? Possible… Ce n’est pas tant qu’on n’a pas la réponse, mais plutôt qu’on ne la donnera pas. C’est là où se pose la limite. C’est… On ne sait pas trop comment te répondre. Disons qu’on ne peut plus te répondre, malheureusement. (Rires)


On peut au moins s’attendre à quelque chose de nouveau bientôt.

Sûrement, quelque chose qui devrait arriver sous peu. On a plein de trucs dans les cordes. Tout ce qu’il manque, c’est la logistique, les disponibilités de tout le monde… En fonction de la difficulté de la chose aussi, du temps que ça prend. Mais des choses vont arriver, c’est certain. En tout cas, avant la fin de l’année.