Interview : Lomepal s\'offre le luxe de la simplicité

undefined 15 mars 2018 undefined 14h20

La Rédac'

On m’a mis dans les mains FLIP, le premier album de Lomepal, en me disant, mot pour mot : “Ce disque, c’est de la grande balle”. C’est exactement ça. Son album est une épopée dans la vie quotidienne du rappeur, un condensé de flow cinq étoiles - chanté, rappé - sur fond d’instru’ aérienne, une oeuvre décomplexée qui présente Lomepal comme il est, sans artifices - honnête, authentique et libre. Et qui réconcilie le rap et le chant dans une oeuvre pop sans concession. Rencontre.


Ce que j’ai vachement aimé dans ton album, c’est ce côté littérature du quotidien, un peu comme tous ces auteurs américains des années 50/60, genre les Beatniks ou Raymond Carver, par exemple…

Je ne connais pas du tout mais j’imagine que c’est un compliment !

Oui, carrément. C’est une littérature que j’aime beaucoup et qui parle vraiment du quotidien. Exactement comme ton album, je trouve ! 

Oui, j’essaie d’être dans ce délire d’émotion un peu introspective. C’est là-dedans que j’arrive à être le plus moi-même et que je tire toute mon inspiration. C’est pareil, d’ailleurs, avec les mecs que j’écoute. En ce moment, je m’explose aux Strokes, par exemple. Dans leurs textes, c’est exactement comme ça. Ils mobilisent des images pleine d’humanité. Leurs textes peuvent te décrire d’une manière super belle le fait que tu sois tout seul chez toi à 3h du mat’ et que tu bouffes un truc, complètement seul…


© Flavien Prioreau


Et même si ça paraît banal, c’est en fait une image très forte d’être tout seul ! Soit parce que tu rentres de soirée, soit parce que tu n’arrives pas à dormir… Il y a toujours un moment de méditation quand tu manges chez toi tout seul à 3h du mat’ ! Ce sont les images du quotidien que j’aime et qui m’inspirent le plus. J’ai déjà essayé de me mettre des thèmes, comme pourrait le faire Orelsan, mais je suis beaucoup moins fort là-dedans...

Chez toi c’est plus fluide et spontané ou bien tu prends plutôt le temps de construire un texte ? 

(Il réfléchit) En fait, c’est compliqué. Avant, c’était très spontané. Et maintenant que j’ai la tête complètement remplie de plein de choses et que j’ai l’impression d’avoir tout dit avec FLIP, si je ne me m’impose pas un minimum de rigueur, j’ai du mal à me remettre à écrire. Mais j’y arrive quand même, hein ! Il y a plein de moments où je note des trucs, des moments où ça vient facilement… Et si ça ne fonctionne pas, il faut que je m’impose un peu des choses, tout en ne s'enfermant pas dans des thèmes. Ce que j’aime bien faire, par exemple si je suis bourré, que je rentre chez moi à 4h du mat’ mais que je n’ai pas spécialement envie d’écrire, c’est juste poser des idées. Je prends mon téléphone, je note des idées qui m’inspirent, je mets une instru, ou alors même je mets un morceau de quelqu’un que j’aime bien, et je note tout ce qui me passe par la tête. Puis lorsque l’envie d’écrire revient, je reprends toutes ces notes !

C’est ce que tu veux signifier lorsque tu dis avoir déjà tout raconté avec FLIP ?

Oui, c’est ça. Et c’est justement tout le travail que j’ai effectué à Rome pendant trois semaines. Je ne veux vraiment pas faire un FLIP 2. Ma volonté, c’est de faire vraiment un album différent. Pour l’instant, je pense que j’ai réussi. Maintenant, il faut qu’il soit bien ! (Rires)


© Flavien Prioreau


Comment tu l’as ficelé, FLIP ? T’avais une ligne directrice ?
 

Je savais un peu ce que je voulais dire. Sur FLIP, la seule ligne directrice, c’est l’honnêteté. Je voulais dire exactement ce que je suis et ce que je fais. Je voulais essayer le moins possible de fausser ma vie, mon passé et mon identité. En fait, je voulais beaucoup moins contrôler mon image qu’avant. Finalement je me suis rendu compte que contrôler son image pouvait être vachement contre-créatif. Je ne voulais pas du tout penser à cette image et juste lâcher des trucs. Des fois c’est miskine, des fois c’est honnête… C’est pour ça, je crois, que FLIP fonctionne.

J’ai vraiment été touché par la pochette de ton album. Elle montre clairement que notre genre peut être renversé, et que la catégorie sexuelle qu’on nous impose - homme ou femme - est beaucoup plus compliquée qu’elle n’en a l’air….

Oui, mais j’ai vraiment voulu montrer ça par un biais artistique. Ce n’est pas un combat ou un devoir. C’est juste que ça me plaisait de le faire ! En fait, FLIP, au-delà de l’idée de la pochette en moi en femme et de tout le concept qu’il y a derrière, ce qui était important pour moi c’était de ne surtout pas faire une pochette avec une grosse prod’. Je voulais quelque chose d’authentique, de simple et de banal. Du coup, j’ai pris les vêtements de ma mère, je me suis maquillé avec les copines du photographe, on était quatre dans une pièce, j’ai été maquillé à l’arrache, on a rigolé et c’était un super bon moment !

Ca te plairait d’être une femme pour une journée ?

S’il y a un mec sur terre qui répond non à cette question, c’est que c’est vraiment un mec super étrange ! Oui, évidemment que ça me plairait !


© Flavien Prioreau

Apparemment, 13% des jeunes ne s’identifieraient ni à un genre masculin, ni à un genre féminin. Qu’est-ce que tu en penses ?

Je pense que parmi eux il y a peut-être des gens qui veulent se donner cette image-là, d’autres qui ne savent vraiment pas, peut-être que d’autres sont totalement perdus. En fait, je pense qu’il y a mille manières de ne pas connaître sa sexualité ! Peut-être que pour d’autres, c’est un combat et qu’il y a un vrai côté révolutionnaire… Je ne sais pas trop…

FLIP, c’est aussi du skate, et il s’avère que je skate depuis presque dix ans maintenant ! Du coup, ton album m’a particulièrement touché sur ce plan-là. D’ailleurs, le flip est la première figure que j’ai réussi ! 

J’aurais pu l’appeler ollie, mais c’est beaucoup moins joli... (Rires) D’ailleurs, avec mes potes skateurs on se dit toujours qu’un joli flip réussi sur dix marches sera toujours plus beau que n’importe quel autre trick compliqué… C’est la simplicité qui compte ! Et là c’est marrant parce que tu me fais comprendre qu’il y a aussi un sens auquel je n’avais encore jamais pensé. En fait, dans toute ma recherche musicale, j’ai essayé de faire quelque chose de très simple dans la formulation, dans ce que je dis... Je n’essaie pas du tout de passer par quatre chemins et de faire trop compliqué pour rien. En fait, j’essaie d’être hyper simple.

C’est drôle que tu me dises ça, parce que je voulais clore cette interview avec une remarque que je me suis faite en écoutant ton album. Je trouve que tu t’es vraiment payé le luxe de la simplicité, en fait.

Oui, clairement. C’est exactement ce que le skate m’a appris. C’est l’acharnement et être prêt à tout. En ce moment je fais un peu d’escalade, et c’est un peu ça aussi, hein. Même si tu n’as plus de force, tu veux absolument réussir. C’est donc le mental qui doit travailler à ce moment-là. En fait, le mental est comme un muscle et c’est donc super important de le muscler. Plein d’amis n’ont pas de muscle dans le mental et dès que c’est trop dur pour eux, ils abandonnent. C’est triste parce qu’ils passent à côté de beaucoup de choses. Le skate m’a tout à fait appris ça, et la confiance en soi aussi parce qu’en devenant fort dans quelque chose, les gens sont amenés à te regarder, puis tu prends aussi plus de plaisir à faire ce que tu fais… Mais surtout, dans le skate, il y a une grosse sensation de liberté. Et une sérieuse recherche esthétique aussi !


© Flavien Prioreau

Est-ce que le skate est une forme de poésie ?

Oui, j’imagine. Dans le sens où tu recherches le Beau. Le skate, c’est comme une quête d’un Beau que personne ne peut définir. C’est en ce sens que ça ressemble à la poésie. Le skate, ce n’est pas mathématique. C’est très subjectif. Par exemple, certains pourraient faire quelque chose d’hyper sketchy, mais au final ça va donner beaucoup plus de style à ta figure qu’une autre personne qui le fera beaucoup plus dans les règles. Et tout ça, c’est de la poésie. Tout simplement parce que ça procure une émotion...

Est-ce que c’est un peu la même chose dans le rap ?

Non, parce que le rap n’est vraiment pas du tout comme ça. Ils ont voulu en faire quelque chose qui ressemble au sport avec la série End Of The Weak, mais ça a complètement flopé. Ca n’intéresse personne… C’est ridicule. La musique n’est pas faite pour de la compétition.

Même si, de fait, l’industrie musicale est une sacré compétition, finalement…

Oui, mais c’est une compétition qui n’a pas de rapport avec ta qualité. Si jamais il y a quelqu’un qui vend plus d’albums que toi, tu ne peux pas te dire que c’est parce qu’il est meilleur. Il y a des mecs qui vendent beaucoup plus d’albums que moi et ils savent que je fais des trucs qu’ils ne peuvent pas faire, et je sais que je n’ai pas envie de faire ce qu’ils font. Donc ça me place dans une dimension où il n’y a pas d’histoire de compétition. Moi, je fais des choix qui font que ma musique ne vendra jamais plus que certaines personnes. Ce n’est pas grave, j’ai décidé de fonctionner comme ça il y a longtemps. Même si je fais de la pop, c’est de la pop que j’aime. Chaque morceau est un enfant à moi. Je ne fais aucune concession et surtout pas de sacrifices. Tout ce que je sors, je l’adore. Evidemment, ma quête n’est pas de séduire tout le monde. Par contre, j’aime bien faire de la musique populaire et que les gens chantent mes chansons. Il y a des trucs qui sont très accessibles mais je ne vendrais jamais autant que certaines personnes qui fonctionnent par recette. 

Tu n’es pas du tout allé aux Victoires de la Musique alors même que tu étais nominé. Pourquoi ?

Ca ne m’intéresse pas du tout et je n’avais pas tout envie d’y aller. Déjà ils m’avaient prévenu à l’avance que je n’avais pas gagné, et même si j’avais gagné je me serai forcé à y aller, tout simplement parce que ça ne m’intéresse pas. Franchement, c’est l’enfer ! J’ai eu Orelsan au téléphone la dernière fois et on en a parlé. En fait, ces Victoires sont bien parce que c’est un regard, un autre public, mais nous, avec Orelsan, on ne fait pas de la musique pour ça. On fait de la musique pour remplir des tournées, vendre des disques, pour rentrer dans la légende, quoi ! Les médailles, c’est bien mais ce n’est pas important.


© Flavien Prioreau

C’est drôle parce que ton discours correspond grave aux valeurs véhiculées par le skate, en fait.

Oui, c’est ça. Ce qu’il faut, en fait, c’est s’amuser. Quand je suis sur scène, je veux juste passer du bon temps et je pense que les gens qui viennent aux concerts veulent juste que je me fasse plaisir sur scène. Maintenant, je ne pense qu’à m’amuser ! Si je pense à autre chose, ça me coince. Donc oui, clairement, c’est une histoire de liberté.

Il y a un commentaire qui m’a fait taper une barre sur ton morceau “Pal Pal” publié sur YouTube : “Lomepal ils sont plusieurs dans sa tête mais c’est lui le chef”.

(Rires) C’est marrant, mais en soi ça n’a pas de sens. S’il y a plusieurs moi dans ma tête et que j’en suis le chef, ça veut juste dire qu’il y a plusieurs chefs dans ma tête !

Interview initialement publiée dans le numéro de mars du Bonbon Nuit.