Typologie du client seul au restaurant

undefined 4 décembre 2017 undefined 17h31

La Rédac'

Angoisse ultime pour certains, véritable plaisir pour d’autres, manger seul au restaurant n’est pour la plupart des gens pas une mince affaire. Autrefois mal perçue, cette pratique commence à se démocratiser avec de plus en plus de gastronomes qui prennent le temps d’être en tête-à-tête avec leur plat. Cette évolution est-elle tangible ? Quant aux clients individuels, sont-ils traités différemment ? La "table de un" est-elle quelque chose à part ? Le Bonbon a creusé. 


Alors que l’on assimile le repas à un moment de partage et de convivialité - "Prendre ses repas seul tent à rendre un homme froid et dur", disait même l’écrivain allemand Walter Benjamin -, aller seul au restaurant semble pourtant devenir une pratique de plus en plus commune. Pendant inévitable de notre société individualiste ou véritable plaisir ? La frontière est ténue, mais une chose est certaine, c’est désormais à la mode.

En 2013, le restaurant éphémère Eenmaal à Amsterdam entamait la marche en étant le premier resto à créer cette fameuse "table de un". En 2015, la plateforme américaine de réservation OpenTable révélait que les réservations dans les restaurants par des personnes seules avaient augmenté de 62% en deux ans. Et début novembre le même site révélait que les réservations de tables pour une personne avaient augmenté de 85 % au Canada. Mais qui est ce client seul ? L'homme d'affaire pressé, la personne ayant besoin d'un peu de compagnie ou alors le gastronome en quête d'un déjeuner en paix ? 

Adepte des voyages en solitaire, Grégoire, avocat de 28 ans, confie adorer aller au restaurant seul à l’étranger. « Seul, tu prends le temps de déguster, tu profites de toi et toi-même. J’ai même été jusqu’à aller dans un restaurant gastronomique, accompagné d’un livre ou d’un carnet, et souvent je bois de l’alcool pour me mettre dans l'ambiance. » Lors de ses voyages, il s'agit d'une véritable expérience, mais à Paris cela ne lui viendrait jamais à l'esprit pour une « question de confort ».

Plus radicale, Sarah, journaliste de 28 ans, « préfère ne pas manger que de manger seule. J’adore manger. Chez moi, je me fais des kifs culinaires toute seule, j'aime le fait de pouvoir manger sans être formaté par les codes sociaux, je peux manger avec les doigts si j’ai envie ». Mais sa phobie de manger seule l'emporte sur sa gourmandise. « Quand je suis confrontée à ce dilemme, je préfère ne pas manger, quitte à manger des gâteaux et voilà. Pour moi c’est une activité de groupe, tu apprécies le plat comme tu apprécies le moment. Un bon plat n’aura pas la même saveur que si tu le manges seul. Et puis il y a aussi le regard des autres. » 

D'autres y voient au contraire un véritable réconfort. Louis Dupont, kinésithérapeute, la soixantaine environ, confie que « cela fait 30 ans que je vais seul au restaurant, que ce soit à l'heure du déjeuner ou pour manger une soupe à l'oignon un soir, parce que j'en rêve à ce moment-là, c'est mon hamam à moi ». Question d'âge, de statut social, de personnalité ? Difficile d'établir un profil unique du client solo. Du côté des restaurateurs également, le point de vue quant à cette évolution diffère.  

Selon Livy, 28 ans, manager d’une trattoria italienne en région parisienne, les clients seuls à midi sont extrêmement rares, et si certains se présentent parfois, le resto dit afficher complet pour conserver les tables de deux restantes. En revanche, de nombreux habitués viennent seuls le soir « pour l’ambiance, pour manger une pizza ou des pâtes sur le pouce », explique-t-elle. « A ce moment-là, on traite le client en fonction de ses habitudes – certains viennent s’accouder au bar, nous tutoient, d’autres ont leurs places attitrées. »

Plus qu'un simple habitué qui recherche une certaine ambiance, l'évolution du client seul au restaurant se constate surtout dans les restaurants où l'offre culinaire est un peu plus recherchée. Manger seul ne serait donc plus l'apanage du travailleur expéditif, mais tendrait plutôt vers des gastronomes passionnés voulant tout simplement prendre le temps de déguster en paix. 

Yohann Gerbout, chef au néobistrot Roca dans le 17e, confie avoir remarqué une évolution dans la typologie des clients venant dans son restaurant. « Avant, la plupart des clients seuls étaient des hommes d’affaires qui venaient vite fait grignoter le soir, maintenant ça peut être des personnes célibataires qui veulent bien manger. Avant les personnes avaient peur de venir seules, c'était presque mal vu, maintenant ça c’est démocratisé, les gens qui viennent seuls sont contents et se fichent un peu plus du regard des autres. » Le client seul est loin d'être devenu la majorité – le chef Gerbout explique en voir deux à trois environ par semaine dans son restaurant –, mais la différence réside dans la recherche qu'il a désormais de satisfaire son palais et non simplement de se remplir le ventre.


Le réel gastronome en quête d’une expérience gustative unique - et surtout seul - existe

Cette recherche du plaisir gustatif seul se constate jusque dans les restaurants étoilés. Gaëtan Molette, directeur de salle de l’Orangerie, restaurant une étoile du Palace Georges V, a constaté cette part plus importante de clients seuls mais leur typologie est bien précise, nous explique-t-il. « Nous accueillons de plus en plus de clients individuels qui viennent pour découvrir le restaurant en amont, soit parce qu’ils sont en affaires dans la ville et veulent se faire un bon resto, ou aussi parce qu’ils font partie de la profession et sont curieux. »

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Alors que dans les restos de quartier, le service est le même, (les restaurateurs interrogés sont catégoriques, le traitement ne diffère pas), il en est tout autre d’un restaurant gastronomique où l’équipe porte une attention toute particulière à la personne seule. « Dès son arrivée, nous lui offrons un maximum d’accessibilité pour lui faire sentir qu’on est encore plus là pour elle. On propose un journal, un repose sac, on lui demande ce qu’elle fait à Paris, pourquoi elle a choisi de venir chez nous, puis nous sommes plus alertes, plus attentifs à son regard muet, à sa gestuelle », explique Gaëtan Molette. 

Que ce soit pour avoir un traitement privilégié dans un resto gastro ou pour passer un moment chaleureux dans un endroit moins huppé, le client seul n'a plus peur de sortir de sa tannière. Plus qu'un pendant négatif de notre société individualiste, il y aurait au cœur de cette évolution une véritable recherche du goût. Comme quoi nous n'avons jamais autant aimé bien mangé. A quand votre prochain (ou premier) resto solo ?