Entre summer body et body positive, les Français·e·s face aux angoisses de l'été

undefined 30 juin 2023 undefined 16h36

Auriane Camus

À l’approche de l’été, nombreux sont celles et ceux qui enfilent leur maillot de bain en avance pour voir à quoi ils ressembleront une fois allongé·e·s sur leur serviette de plage, quand viendra le moment fatidique des vacances d’été. Fatidique ? Oui. Car si les vacances sont censées rimer avec détente, lâcher-prise et farniente, une récente étude de l’Ifop montre néanmoins que près de la moitié des Français·es angoissent à l’idée de montrer leur corps à la plage cet été. Un constat qui prouve que, malgré l’évolution indéniable des discours autour de l’acceptation de soi sur les réseaux sociaux, le summer body a visiblement encore de beaux jours devant lui...


Les femmes face aux injonctions contradictoires

Si la tendance body positive(1) prend de plus en plus d’espace sur les réseaux sociaux à coups de vidéos normalisant les poils, vergetures, bourrelets et autres imperfections, il semble que cela ne suffise pas encore à effacer les complexes des Français·es, particulièrement quand vient l’heure de se mettre à nu (ou presque). Intitulé “Les Français·es à l’heure du summer body, de la plage et du maillot... ”, l’enquête de l’Ifop met en lumière les complexes des vacancier·ère·s sur leur apparence, mais également les disparités entre hommes et femmes quant au regard porté sur leur propre corps.

Sans grande surprise, les femmes sont bien plus affectées que les hommes par les angoisses liées au maillot de bain. Selon l’Ifop(2), 60% d’entre elles affirment ne pas aimer leur corps, tandis que 67% disent ne pas se sentir à l’aise en maillot de bain. Des préoccupations bien présentes alors que nombreuses sont celles qui se positionnent en faveur du body positive. « Personnellement, je soutiens à fond le mouvement body positive. Je n’en peux plus de ne voir que des corps lisses et minces dans les publicités ou dans les médias. Je suis contente qu’on puisse voir des personnes qui nous ressemblent, qui ont des formes, des imperfections, qui ont l’air vraies... Et en toute sincérité, je trouve ça tellement plus beau ! Mais quand il s’agit de me voir moi dans le miroir, avec mes kilos “en trop” et ma poitrine toute plate... Ce n’est pas la même affaire. » Comme de nombreuses femmes, Julie, 26 ans, est prise entre les injonctions contradictoires véhiculées par la société et les réseaux sociaux.

Selon Catherine Grangeard, psychanalyste et psychosociologue spécialiste de l’obésité et des rapports femmes/hommes, cette ambivalence n’a rien d’étonnant : « On a tous·tes envie de dire “on s’en fout d’être comme ci ou comme ça”, “tous les corps sont beaux”, de façon très juste et rationnelle, parce que ce sont nos convictions. Mais quelque chose d’autre agit à notre insu lorsqu’on se regarde dans le miroir. Car on ne voit pas seulement la réflexion de notre image, mais on voit aussi tout ce qu’on a entendu dire de nous, tout ce qu’on observe dans les médias ou sur les réseaux sociaux, tout ce qu’on se dit sur nous-mêmes. On porte un regard sur notre image qui vient déformer la simple réflexion de ce que nous sommes. »

Et si les réseaux sociaux tentent de plus en plus de lutter contre ce phénomène d’auto-bodyshaming en incitant les un·e·s et les autres à voir leurs imperfections comme des qualités et à les célébrer, ces derniers sont aussi la source des injonctions corporelles à la minceur, parfois même à l’insu des personnes qui postent ces contenus : « bien que ces images soient destinées à inspirer les individus à s’exercer et à perdre du poids, des recherches ont démontré que l’exposition à ces représentations corporelles entraînait des conséquences négatives, comme une image négative de son corps ou encore des troubles alimentaires », affirme Dimitra Laurence Larochelle, sociologue des médias, du genre et du numérique.


Quand l’été vire à l’angoisse

Pour Mégane, 37 ans, les complexes sont là, mais l’assistante maternelle affirme qu’ils ne sont pas une obsession pour elle : « on ne peut pas dire que j’aime vraiment mon corps. J’évite de me regarder lorsque je suis en maillot de bain, justement pour ne pas me sentir mal, j’essaye de faire attention à ce que je mange, je mets éventuellement un paréo lorsque je me déplace... Mais je n’en ai jamais pleuré la nuit non plus. J’essaie de relativiser ». Pourtant, pour plus d’un·e Français·e sur deux, l’été est synonyme d’importants troubles de la santé mentale. Chez les femmes, 49% affirment avoir déjà vécu d’intenses périodes de stress ou encore de nervosité et d’anxiété, quand seulement 29% des hommes expliquent vivre la même chose. Près d’une femme sur trois (38%) confie également avoir déjà pleuré en raison des injonctions et de la pression liée à l’approche de l’été. Sans parler des troubles du sommeil provoqués ou encore des épisodes de dépression vécus...

Si Mégane assure ne jamais avoir suivi de « régime draconien ou de programme de sport intensif », pour d’autres, la quête du summer body est bel est bien réelle, presque vitale. En effet, 93% des femmes et 78% des hommes affirment « préparer leur corps » pour l’été, en accordant une importance particulière à leur pilosité, au sport, ou encore à faire un régime. C’est notamment le cas de Léa pour qui, chaque année, le printemps est synonyme de remise en forme : « Je ne suis pas très sportive de base. Mais avant chaque été, je me force à faire des activités ultra intenses, type course à pied, pour ne pas être trop mal à l’aise en maillot de bain. Honnêtement, je ne suis pas sûre de voir de gros résultats, mais au moins, je culpabilise moins ».


En finir avec le mythe du summer body

Comme le rappelle Thomas, coach sportif de 31 ans, « le summer body n’existe pas. Peu importe tous les efforts qu’on peut faire, on ne sera jamais pleinement satisfait de la façon dont on se voit dans le miroir... Même quand on est un coach sportif avec 75 kg de muscles ! Alors autant apprécier ce qu’on est, tout en s’assurant d’être en bonne santé, car quand on se lance dans la quête du summer body, on n’en finit jamais ».

Et ça, heureusement, de nombreuses personnes l’ont compris. Sur les réseaux sociaux, on voit de plus en plus de personnalités, tous bourrelets sortis, s’assumer et célébrer leur beauté malgré les standards contraires, comme c’est le cas de l’influenceuse norvégienne Camilla Lorentzen. La jeune femme l’affiche d’ailleurs dès la bio de son profil : « ici pour vous aider à vous aimer ». Sur d’autres comptes, il n’est pas difficile de trouver des illustrations mettant en avant des corps poilus, avec des vergetures, des varices, de l’acné ou encore des seins qui tombent, accompagnées de messages tels que « ce sont des choses normales et naturelles », « ça n’enlève rien à votre valeur ».

Dans la vraie vie, malheureusement, le mouvement body positive semble bien moins installé. Car même si l’industrie de la mode tente de devenir plus inclusive en montrant des mannequins de toutes les tailles et de toutes les formes, le changement est encore trop timide : « on a parfois l’impression qu’on nous fait du purple-washing(3) en nous montrant des mannequins grandes tailles, au milieu d’une majorité écrasante de corps filiformes. Et quand il y en a, ils sont retouchés, maquillés, etc. Au final, on ne les voit pas vraiment comme ils sont », affirme Julie. « C’est déjà mieux qu’avant, certes, mais il en faut plus si on veut dire une bonne fois pour toutes au revoir aux diktas sur le corps des femmes ».

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Bien que le constat de l’Ifop — selon lequel « les injonctions au corps parfait, plus encore lorsqu’il est soumis au regard de l’autre, restent très prégnantes » — ne soit franchement pas heureux, nous, on espère que vous n’allez retenir qu’une seule chose : le corps parfait pour aller à la plage cet été, c’est le vôtre.


Si le sujet vous intéresse, voicu une sélection d'ouvrages et de podcast pour aller plus loin :

La femme qui voit de l’autre côté du miroir de Catherine Grangeard et Daphnée Leportois aux Éditions Eyrolles
Mon corps et alors ? de Laetitia Duveau aux Éditions Solar
Louise Aubery | MyBetterSelf : stop aux diktats de la minceur, oui au body positive, un podcast “Patate” réalisé par Alice Tuyet


(1)
Body positive : mouvement social en faveur de l’acceptation et l’appréciation de tous les types de corps humains
(2) Étude Ifop réalisée pour l’agence de Flashs et le site spécialisé Voyageavecnous.fr publiée le mercredi 21 juin 2023
(3) Purple washing : Fait d’utiliser la cause féministe pour faire du profit et donner une fausse image engagée à l’entreprise.