Teuf addiction : peut-on vraiment être accro à la fête ?

undefined 3 octobre 2019 undefined 18h57

Hélène G

Afterworks, anniversaires, verres entre potes, concerts… On est lundi, votre semaine est bookée et vous n’avez strictement aucune soirée pour vous. Ça vous angoisse ou ça vous rassure ? Si vous êtes dans le second cas de figure, vous êtes de sacrés fêtards. Mais pouvez-vous devenir accros pour autant ?

« Je sais qu’il est difficile pour moi de rester à la maison quand on me propose d’aller boire un verre et que j’ai l’impression que ces journées passées devant un écran me laissent avec trop d’énergie que j’ai "besoin" d’évacuer à travers la teuf. Il y a tellement de possibilités de sorties, de rencontres qui s’offrent à moi, que j’ai l’impression de passer à côté si j’en profite pas », témoigne Louise, 30 ans. Pour elle comme pour beaucoup, la fête est plus qu'une envie, c'est un besoin. Même son de cloche du côté d'Alex, 26 ans, qui recherche « l'adrénaline, le contact physique, danser, rire, c'est bon pour le moral et le corps, ça fatigue et ça fait bien dormir. Je vois ça comme une partie de la dynamique de bien-être de l'être humain, dans la société sédentaire où l’on est, c'est un exutoire aux semaines calées derrière un bureau où l'activité cérébrale domine sur l'activité physique. ».


Faire la fête, besoin physique ou psychologique ?

En premier lieu, il s'agit de définir la fête : doit-elle forcément terminer au petit matin ? Doit-on avoir une raison pour la faire ? Selon le Larousse, c'est un peu des deux : le dictionnaire définit les fêtes comme des « réjouissances publiques destinées à commémorer périodiquement un fait mémorable, un événement, un héros... » mais aussi comme des « réjouissances, (un) festin, bal offerts par quelqu'un en l'honneur de quelque chose » et « une partie de plaisir ».

©Marie-Antoinette / Sony Pictures Entertainment

Les témoignages que nous avons recueillis font, pour beaucoup, état d'un besoin ressenti. Faire la fête agit comme un système de récompense, véhiculant une forme de dopamine, et de relâchement : « j'ai des "manques" de fête, je suis un peu hyperactif et ça me permet de me défouler puisqu'en semaine je n'ai pas beaucoup de temps pour faire du sport ; dans ces conditions je peux me défouler à ma guise au gré des tracks », poursuit Alex. Chez d'autres, il s'agit d'un sentiment plus ponctuel. « Parfois je ressens le manque quand je me sens pas bien ou déprimée, là j'ai besoin d'extérioriser tout ça et je sors avec mes copines pour faire la fête », témoigne Nadia. Chez Nico, 27 ans, « L’alcool c’est à toutes les soirées, donc quasiment tous les week-ends. La drogue juste des joints mais ça reste rare. Pourquoi je fais la fête ? Souvent on m'invite à des soirées, des anniversaires... donc je n’arrive pas à dire non. Ça me permet de décompresser de la semaine, du travail, de la pression et de relâcher tout ça et kiffer avec mes potes. Quand je ne fais pas la fête… Ça me manque quand cela fait trop longtemps, mais sinon non ça peut me permettre de me reposer, pour une fois… ».

La substance (alcool et drogues) entre-t-elle en jeu ? Pas forcément. Si l'alcool est fortement ancré dans la culture française, et la culture de la fête, ce n'est pas une obligation pour Nadia : « Faut qu'il y ait du bon son et mes amis. Je ne consomme absolument rien. J'en ai besoin, c'est vital », explique-t-elle, ou Antoine, qui ne boit plus d'alcool et considère que « quand la teuf est bien faite, c'est un espace hors du temps où tu peux exprimer pleinement ta personnalité pendant quelques heures en dehors de toute convention sociale. ». 

©La BoumLa Bäm Filmverleih

Pour comprendre où et comment survient le processus d'addiction, on a contacté Marthylle Lagadec, psychologue spécialiste des addictions comportementales depuis dix ans, exerçant à Bordeaux. « Ici, on ne parle pas d’addiction mais plutôt de passion. L’addiction, c’est vraiment la poursuite d’un comportement qui a des répercussions négatives, des propriétés addictogènes. C’est la recherche d’un "shoot de plaisir", d’une sécrétion de dopamine, d’un plaisir intense, immédiat. Il y a ce côté irréfléchi, compulsif dans l’addiction. », explique-t-elle. A priori, la teuf n'est pas addictive. Mais dans certains cas de figure, les répercussions sont bien présentes. Prévenir ses proches, finir dans des situations compliquées ou regretter d'avoir fait la teuf le lendemain sont des conséquences de la fête, mais aussi de l'alcool et des excès. « Il y a des fois où je regrette quand je me remémore les sommes que je dépense quand je sors », observe Nico. Pour Louise, les répercussions se font sur ses proches : « les problèmes arrivent quand je fais du mal aux gens qui m’entourent – comme mon copain qui a beaucoup moins ce "besoin" de sortir que moi. J’en arrive même à me mettre un réveil en soirée pour penser à le prévenir de quand je rentre ». Sinon, la bonne vieille gueule de bois est en cause : « Je regrette souvent le lendemain, surtout quand je rentre tard genre à la fermeture du club et que le lendemain je me tape une grosse migraine. Mais sinon je regrette pas vraiment », avoue Nadia. De même pour Sonia, « quand je dépense beaucoup trop d’argent principalement ou alors quand le lendemain, j’ai un truc de prévu et que du coup je suis pas en état. ».


De la célébration à la décompression

Dans tous les témoignages que nous avons recueillis, l'on perçoit cette notion de besoin, d'adrénaline. Mais aussi, la peur de manquer quelque chose. Si vous me permettez cette légère intrusion au sein de l'article, une de mes amies m'a récemment exposé une théorie qui mérite réflexion. « On a plusieurs cercles de potes. Deux principaux : le premier, le plus proche, avec qui on passe nos week-ends, avec qui on chill, on fait la fête et on part en vacances. Le second représente les potes moins proches, que l'on voit occasionnellement et avec qui on boit un verre en semaine, pour se mettre à jour sur nos vies respectives. Le dernier cercle représente les gens dont on a été proches, dont on est moins proches ou qui habitent dans une autre ville et qu'on voit plus rarement. Avec ceux-là aussi, on calera des verres en semaine à l'occasion. » Ainsi, si l'on se fie à cette hypothèse, l'on peut comprendre pourquoi chaque jour de notre semaine est occupé. 

Pourtant, on ne peut pas parler d'addiction. Plutôt de comportement compulsif, selon le National Institute of Drug Abuse qui définit l'addiction comme « une affection cérébrale chronique, récidivante, caractérisée par la recherche et l’usage compulsifs de drogue, malgré la connaissance de ses conséquences nocives ». Pourquoi, tous les vendredis (et parfois les jeudis, et parfois les mercredis), ressent-on le besoin de faire la fête, de se retrouver, d’être entourés ? 

©Coyote Girls

N'oublions pas ce bon vieux FOMO (Fear Of Missing Out), sans qui les fêtards ne seraient rien : « Entre la peur de louper quelque chose, le besoin toujours plus fort de se déconnecter et de vivre des choses fortes, tu te retrouves rapidement à tirer sur la fréquence de tes sorties, la fatigue, la consommation de stupéfiants/alcool... », se souvient Antoine. En France et particulièrement dans les grandes villes, il y a toujours une raison de faire la fête, un événement chaque semaine, un concept qu'il faut découvrir, un nouveau lieu où il faut être. Le marketing entre en jeu ici, où tout est mis en place pour véhiculer, comme un service, une expérience à celui qui fera la fête. L'excitation du secret, le frisson de la transgression activent notre système de dopamine et d'adrénaline et nous nous habituons progressivement à vivre des émotions de plus en plus fortes. 


Le bon compromis : apprendre à être seul 

Pour Marthylle Lagadec, la fête en elle-même, au contraire, est un vecteur positif, d’échange, de danse, d’épanouissement et qui va faire du bien à notre organisme. En l’état, elle ne constitue pas une addiction. Par contre, le fait de sortir régulièrement est pour la psychologue synonyme de fuite : « les gens se confrontent de moins en moins à la solitude », remarque-t-elle, et cherchent frénétiquement des occasions pour ne pas rester seuls. Dans les cas les plus extrêmes, où interviennent l'addiction à l'alcool et/ou à la drogue, « ce besoin irrépressible est une perte de contrôle, un combat intérieur chez l’addict. C’est lorsque l’on se dit "il ne faut pas que j’y aille, mais j’ai très envie d’y aller", que s’installe un comportement d’auto-destruction. », analyse-t-elle. 

La Grande Bellezza ©DCM Filmverleih

On lui a donc demandé quelques conseils pour s'affranchir de cette envie de faire la fête, lorsqu'elle devient trop présente. Selon elle, les bons moments passés seul sont la clé pour reprendre un rythme plus raisonnable. Elle conseille de « faire des choses qu’on aime, seul, ressentir des émotions positives en faisant des activités seul, en choisissant un bon film, se balader, chacun trouve son plaisir simplement où il le souhaite. Il faut y avoir accès. Pour certains, le plaisir est dans le partage. La plupart du temps des personnes qui n’ont pas appris à s’ennuyer dans l’adolescence. Consulter pour comprendre à quoi renvoie cette solitude existentielle. Prendre le temps de s’écouter, de prendre soin de soi… ».

Il n'est donc pas possible de souffrir d'une addiction à la fête ; mais avoir un comportement compulsif vis-à-vis des soirées, pour éviter de se retrouver seul avec soi-même, oui. L'addiction survient lorsque des substances (drogues, alcool) entrent en jeu et modifient la perception, la conduite des personnes, et entrainent des conséquences négatives sur eux et leur entourage. Et si l'on apprenait à faire un pas vers la solitude, et à rationner nos teufs ? Si vous l'osez, parcourez cet article dans lequel on se demande pourquoi on a peur d'être seul