Que reste t-il des vrais bistrots parisiens ?

undefined 7 février 2017 undefined 00h00

Tiana Rafali-Clausse

Il y a des choses qui vont et viennent, ça s’appelle le cycle de la vie. Les authentiques bistrots de Paname n’échappent pas à cette règle et disparaissent petit à petit de notre paysage urbain… Vraiment ? Pour le savoir, il faudrait d’abord s’accorder et définir le "vrai bistrot parisien", ensuite en parler avec un sociologue et pour finir, s’accouder au zinc pour une discussion de comptoir avec bistrotier. Alors c’est ce qu’on a fait. Qu’en est-il donc de ces adresses qui abritaient jadis tous les gens du quartier ?


« Certains ont disparu, d’autres se transforment » explique Pierre Boisard, sociologue et auteur du livre La vie de bistrot (éd. Puf). Pour lui, ce qui définit avant tout le bistrot, c’est son esprit et par extension celui de son patron. « On va dans telle ou telle adresse parce qu’on y aime l’ambiance. Et qui fait l’ambiance ? C’est le patron, derrière son comptoir. » Peu importe que les néons soient éteints ou remplacés par des lampes design.


Les Auvergnats, les Kabyles, les Chinois

Parce que oui, l’essence de l’authentique bistrot vient avant tout des tenanciers et c’est précisément cet aspect-là qui a disparu. Avant les boui-boui d’antan étroits étaient tenus par un couple, qui y travaillait 7j/7, du matin au soir, sans relâche et sans sourciller. « Il y a eu les Auvergnats puis les Kabyles et maintenant ce sont les Chinois. Seulement ces derniers ne sont pas aussi bavards, aussi animateurs que leurs prédécesseurs », remarque le sociologue.

 © Blaise Arnold Photography / Le Narval, 20e, 2016

Les habitués aux échanges de comptoir ne prennent plus le temps de traîner au bistrot, et évitent de s’aventurer dans ces nouveaux spots où ils s’imaginent ne pas pouvoir discuter avec le tenancier. Avec ses piliers de bar s’envole aussi l’âme du bistrot. 

« Si vous voulez savoir si un endroit va vous plaire, il suffit de s’accouder trente minutes au zinc. S’il ne se passe rien, pas la peine d’y retourner », confie Pierre Boisard.

Même discours de l’autre côté du comptoir. Philippe, gérant du Bouquet dans le 14e depuis 1984, raconte qu’il « y a toujours un noyau d’habitués qui vient chaque matin pour le café et le soir pour le demi, mais ce noyau diminue ». Pourquoi ? C’est simple, les habitudes ont changé, les clients aussi, les envies surtout.

 © Blaise Arnold Photography / Au Rendez-vous des chauffeurs, Gennevilliers, 2011


« Avant, on écoulait deux bouteilles d’alcool fort par jour, maintenant c’est deux par semaine ! »

Aujourd’hui, les bistrots ne vivent plus au rythme de leurs propriétaires mais plutôt à celui de la mode. Pas un jour ne passe sans qu’une adresse concept n’ouvre dans la capitale et remplace les bistrots d’antan. On ne vient donc plus pour une ambiance mais pour un style de cuisine particulier, une déco ou une photo Instagram, qui sait ?

Le bar/bistrot de demain a troqué les plats réconfortants de la gastronomie française pour des tartines à l’avocat et des eggs bénédict.

Même constat sur la carte des boissons : « Avant on écoulait deux bouteilles d’alcool fort par jour, maintenant c’est deux par semaine ! Les gens boivent plus de bières et de vins. Il y a dix ans on avait deux bouteilles, aujourd’hui il y en a vingt sur la carte, il faut répondre à la demande », détaille Philippe, le bistrotier.

 © Blaise Arnold Photography / Le Narval, 20e, 2016

Selon lui, l’interdiction de fumer est en partie responsable du lent déclin du bistrot à l’ancienne. « Les Parisiens ne trainent plus au bar comme avant avec leur clope et en discutant avec le bistrotier. Mais ce n’est pas plus mal au final parce que la clientèle est nouvelle : il y a plus de familles qui dînent, plus d’enfants… »


Tout le monde y va, personne ne juge

On est donc loin des 80’s, période charnière pour les restaurateurs auvergnats, où les ouvriers étaient des habitués des bistrots. Ils venaient parce que dans ce genre d’adresse, personne ne juge personne. L’auteur et sociologue Pierre Boisard prend l’exemple du Martignac au 109, rue de Grenelle : « On y croise à la fois des habitants du quartier, plutôt bourgeois, des employés ministériaux, des attachés parlementaires (SIC), des nourrices, des cadres, bref, toutes les catégories socio-professionnelles se croisent dans ce bistrot. Tout le monde y va et y retourne, personne ne juge, c’est un endroit à la bonne franquette. » Ce serait donc ça tout le propre du bistrot ? Un endroit où aller sans réfléchir, comme on est ? La réponse est oui si on en croit notre sociologue :

« Le bistrot n’a pas de définition propre, c’est plutôt un ressenti personnel. »

Chacun a donc sa définition du bistrot. Inutile donc d’épiloguer sur la déco… Elle n’a qu’à changer, si l’âme reste alors le bistrot demeure, même dans un décor fancy ? A vous de le dire !