Blocages des facs : à la rencontre des étudiants en colère

undefined 23 avril 2018 undefined 12h42

Manon Merrien-Joly

Alors que la Sorbonne appelle à la levée du blocus, que Nanterre vient de voter le blocage illimité et que Tolbiac a été évacuée, les mouvements de révolte étudiante semblent plus que contrastés après un mois de protestations. Et les étudiants, eux, qu'en pensent-ils ?

Procédons d'abord à un bref rappel des deux lois étudiantes qui suscitent principalement la controverse : la loi dite ORE (d'Orientation et de Réussite des Etudiants) a été mise en place pour supplanter le procédé du tirage au sort et dans la continuité de Parcours Sup. Selon Emmanuel Macron, "ce sont les équipes pédagogiques des universités qui analyseront les dossiers. Quand il y a plus de candidats que de places, c’est ce processus qualitatif qui adviendra" et la sélection se fera sur la base "d'attendus", soit des connaissances et des compétences requises pour intégrer la formation.

Cette réforme revendique une volonté "d'accompagnement personnalisé des étudiants". De nombreuses associations étudiantes et sociologues s'en inquiètent, craignant que son application engendre des discriminations à la sélection et des inégalités entre femmes et hommes à l'entrée.

Concernant Parcours Sup, c'est la plateforme qui a remplacé Admission PostBac (APB pour les intimes) en janvier dernier. Elle permet aux étudiants d'accéder aux études souhaitées et d'y constituer ses dossiers. Cette nouveauté, là aussi, ne fait pas l'unanimité. Certains l'accusent d'aller à l'encontre du principe de libre accès à l'université.

Le Bonbon est allé à la rencontre de 5 personnalités rencontrées au cours des blocus, pour avoir un aperçu du mouvement de l'intérieur. Ce vendredi 11 avril, les partiels devaient avoir lieu pour certains étudiants de Nanterre et de Sciences Po à la maison des examens d'Arcueil : des étudiants ont également bloqué le lieu, entrainant le report desdits examens.

Ces entretiens ont eu lieu entre le 12 et le 16 avril dernier.

Georges K., 23 ans, étudiant en droit à Paris 2 (Panthéon-Assas)

Comment te positionnes-tu dans cette occupation ?

Je suis un soutien. Je suis présent pratiquement tous les jours à l'occupation, j'assiste dès que je le peux aux AG et comités de mobilisation, je défends l'occupation en cas de souci.

Comment s’est déroulée l’occupation ?

Cela fait presque un mois qu'il y' a une occupation à Tolbiac. Globalement, on pourrait dire que c'est une réussite dans le sens où le rapport de force est à notre faveur et donc qu'il n'y a pas encore de tentative d'expulsion de la part de la police. A l'intérieur, la vie de l'occupation semble sereine, il y'a des cours et des conférences chaque jours et l'organisation est bien huilée. Il y'a évidemment des embrouilles, des vols, des violences, mais tout est sous contrôle et les gens arrivent réellement à gérer tous les problèmes. En soi, c'est une formidable expérience d'autogestion avec tout ce qui peut apparaître de négatif et tout ce qui en fait quelque chose de très entraînant.

Quel est le rôle de l’antifascime dans le milieu étudiant ?

L'antifascisme dépasse le cadre seulement étudiant même s'il reste que beaucoup des militants sont des étudiants. C'est dans le cadre universitaire que les confrontations d'idées sont les plus radicales, ainsi, les campus sont des lieux de luttes. Il existe de nombreux étudiants fascistes qui souhaitent propager leurs idées dangereuses, agresser ceux qui les réfutent et aujourd'hui deviennent des alliés objectifs de Macron en essayant de casser les grèves étudiantes contre la réforme de la sélection.

Il y a eu de sérieuses confrontations avec des milices d’extrême-droite. Peux-tu en parler un peu plus ?

Les milices fascistes ont joué le rôle de la police en voulant évacuer des occupations dans plusieurs universités. S'ils ont réussi dans une violence terrible à Montpellier, ils ont lamentablement échoué à Tolbiac où ils ont mangé une pluie de bouteilles en verre en réponse à leur arrivée presque ridicule devant l'université aux cris de "antifas fils de pute". Nous sommes très présents pour éviter que cela se reproduise et ils le savent. D'ailleurs, on n'entend plus parler de ce fameux comité anti blocage depuis cet échec cuisant. On est conscient que les fascistes ont un goût très prononcé pour les agressions sur des étudiants du fait d'expérience relatées à Strasbourg, Lille. Dans le cas de Lille, ils ont voulu refaire un Montpellier bis mais les camarades antifascistes les ont fait se réfugier derrière leurs copains de la police. Comme quoi, il existe une réelle alliance (peut-être pas idéologique mais de circonstances) aujourd'hui entre Macron et ces nervis d'extrême-droite.

Manon a 20 ans et est étudiante en Philo-Socio-anthropologie à Paris 1

Quelles sont vos revendications ?

Nous revendiquons le retrait total de la loi ORE, ainsi que l'arrêt des autres réformes (cheminots, retraités, etc.).

Comment l’occupation s’est-elle passée ?

Au début de l'occupation, on cherchait à s'organiser, ce qui est normal vu qu'on cherchait comment tenir Tolbiac le plus longtemps possible. Il y avait beaucoup de gens différents, qui avaient des visions différentes d'une occup donc ça clashait des fois. Pendant un moment il y a clairement eu une séparation entre un "eux" et un "nous", entre ceux qui ne faisaient pas parties de tolbiac, qui faisaient la fête le soir, qui ne restaient pas forcément dormir, et les gens qui se considéraient comme plus sérieux, qui pensaient que leur présence étaient plus légitime, parce que eux voulaient organiser des trucs et pas seulement faire la fête. Pour revenir plus précisément sur ta question, y a une création d'une vie en communauté malgré tout.

Quels types de gens as-tu croisé pendant l’occupation ?

Il y a vraiment beaucoup de gens différents. Ceux qui font partie de l'UNEF, du NPA, etc. Des autonomes, des antifascistes, etc. Des gens du quartier qui viennent juste se poser, des gens qui viennent que pour faire la fête. Des profs en grève, des étudiants qui sont curieux. Même des anti-bloqueurs.

Est-ce qu’il y a d’autres luttes conjointes que tu aimerais mettre en avant ?

Si on occupe les facs en ce moment c'est principalement contre Parcours Sup' et la loi ORE mais pas que, y a pleins de luttes qui se passent en ce moment, notamment avec les cheminots qui sont en train de perdre leurs statuts, ou encore la loi Asile-immigration qui est en train de se mettre en place.

Y a-t-il un prolongement de cette occupation avec Mai 68 ?

Mai 68 c'est fini. La mobilisation a peut être pris autant d'ampleur parce que les gens se sont dit que c'était les 50 ans de mai 68 et qu'il fallait se bouger mais je ne pense pas que ce soit un prolongement. On était à une époque différente, dans un contexte différent, que l'on ne peut pas recréer à notre époque. Je dirais même que c'est une erreur de tout penser en relation avec mai 68, ça ne sert à rien de se projeter dans le passé. La plus grande différence, c'est que justement la France a déjà connu un mai 68, et le gouvernement a pris des mesures pour éviter que ça recommence. Elle a dépavé les rues, je crois que Tolbiac, qui a été construite après 68, a une architecture faite pour éviter les rassemblements (ce qui est assez ironique), etc. Donc non, ce n'est pas un prolongement, il ne faut pas que ça le soit, mais que ça devienne un mouvement à part entière, qui répond aux besoins de notre époque et qui ne s'inscrit pas dans une nostalgie inutile des émeutes passées.

Liv est étudiante en Anthropologie (L1) et Maartje en L1 humanités, droit et éco gestion.

A quel moment vous vous êtes décidées à rejoindre le mouvement ?

Ca a vraiment commencé le 22 mars à la grande manif. Dans les facs ce sont souvent les bâtiments de sciences humaines qui se mobilisent en premier, c’était pareil en 68. Ca nous a touchées, on parlait beaucoup politique, et à la manif' de Bastille l’ampleur du mouvement était impressionnante (cheminots et étudiante) : à partir de ce moment-là, on va souvent aux AG.

Liv : Je participais aux AG mais depuis lundi (lundi 9 avril, date d’intervention des CRS à l’université de Nanterre NDLR) ce qu’il s’est passé à la fac ça m’a encore plus motivée. Et pour moi la sélection c’est n’importe quoi, ça va augmenter les inégalités sociales, défavoriser les gens issus des classes populaires, créer une discrimination et des conflits, on va sur un principe méritocratique totalement biaisé et faux: l’école reproduit les inégalités sociales qui existent dans la société. C’est débile parce que la sélection en soi je crois qu’avant quand on postulait pour une fac les facs de secteur te prenaient dans tous les cas. Moi j’ai des potes en anthropologie qui ont eu leur bac ras-les-pâquerettes et qui maintenant ont 15 de moyenne ici, dans leur fac de secteur. Avec la sélection, ça n’aurait jamais pu arriver.


Vous l’avez vécu comment ?

Moi je n’étais là ni lundi ni mardi. J’ai suivi par les photos, les vidéos et les communiqués retranscrits sur les réseaux, j’ai trouvé ça scandaleux, surtout de la part du Doyen. D’après ce que j’ai compris le lundi le CA se tenait (décisions budgétaires etc.) et un grand nombre de revendications et de demandes n’ont pas été prises en compte, du coup on avait décidé de l'envahir. Dimanche soir, (le 8 avril, NDLR) certains sont entrés dans le Batiment E. Le doyen Jean-François Ballaudet a lancé une rumeur qui disait que les gens présents n’étaient pas des étudiants, ce qui partiellement faux : apparemment c’était des gens de l’OKLM, une instance politique d’ici, des étudiants, gros organisateurs de ce mouvement.

Le mouvement étudiant, c’est une chose, mais il y a aussi d’autres causes comme celle des cheminots, et je trouve ça totalement légitime de revendiquer autre chose. Ce n’est pas un argument pour envoyer les CRS.

Justement, qu'est-ce qu'il s'est passé au juste le 9 avril ?

Je crois ce qu'il s'est passé, que les gens sont rentrés, puis les CRS sont arrivés par les souterrains. Les gens sont montés sur le toit pour ne pas se faire prendre, les CRS ne sont pas intervenus parce que c’était dangereux donc ils ont voulu négocier, tout le monde est redescendu calmement en AG pour négocier mais en fait l’AG il n’y en a pas eu : les CRS sont rentrés ont menacé, bombes lacrymo à la main, on voyait sur les live Facebook des gens qui se faisaient trainer par les cheveux. Ils ont voulu procéder à un contrôle d’identité mais ont fait face à un non catégorique et unanime.

Certains ont été pris au poste, mardi matin un a été relâché et en ont gardé six qui eux ont été relâchés mardi au soir. Après un ensemble d’étudiants et de professeurs sont allés voir le doyen pour essayer de négocier mais ça n’a abouti à rien, ils ont demandé à ce que le doyen vienne mais il n’est jamais descendu de son bureau. Ce qui n’est pas normal à mon sens, c’est que les CRS interviennent alors que la salle avait été mise à disposition. Il n’y avait aucune violence, une simple AG.

Le doyen se dédouane de la responsabilité de la deuxième intervention des CRS. Il dit qu’il n’était pas au courant. Ce que lui reproche, c’est qu’en premier lieu, envoyer des CRS dans une fac je trouve ça absolument scandaleux et antidémocratique, comme tous les communiqués qu’il publie. On peut y lire que les gens menaçaient de se suicider sur les toits, dégradaient les bâtiments alors que non, pas du tout : et il expose les choses d’une manière ultra-convaincante et décrédibilise le mouvement dans les médias. 

Mais je vais croire qui ? Ceux qui étaient là ou lui, du haut de son bureau ? Il change d’avis constamment, parlant au début d’une vingtaine d’étudiants puis d’une trentaine et d’une centaine. Surtout que c’était pas crédible, parce qu’envoyer des CRS pour cent pelés puis en voyant l’arrivée des CRS on se rend vraiment compte qu’en fait c’est démesuré, il ne se passe rien… Pas de violence ni d’affrontements prévus, le but n’était pas de dégrader les bâtiments mais de protester de façon symbolique.

Et selon vous, le mouvement prend de l’ampleur ou faiblit ?

La mobilisation emplit je trouve, Ballaudet en envoyant les CRS pensait calmer le truc alors qu’en fait ça n’a fait qu’amplifier le mouvement parce que les gens étaient choqués. Les gens qui avant n’allaient pas aux AG et n’étaient pas mobilisés ont commencé à venir à partir de l’intervention du lundi 9 avril.

C’est choquant, de plus en plus après les événements de lundi, beaucoup ont pris les transports pour venir aider. Le problème de cette mobilisation, dans ces bâtiments-là, c’est qu’on la sent vraiment mais sur le reste du campus pas du tout. Il y a une opposition entre étudiants : les pôles sciences humaines sont mobilisés mais niveau des bâtiments droit-économie-gestion pas du tout, cette opposition se ressent beaucoup sur Facebook entre ceux qui vont en AG et se mobilisent contre d’autres qui vont dire "on va pendre les bobos par leurs dreadlocks" à renforts de gros clichés.

Et la suite, vous la voyez comment ?

Je ne sais pas si ça va continuer. Je pense que oui, mais le problème à mon sens c’est qu’on s’est mobilisés un peu tard. Les partiels arrivent, la plupart d’entre nous finissent mi-mai. Les vacances arrivent. Je pense que les partiels seront maintenus parce que jusqu’à maintenant on n’a eu zéro info disant le contraire. Si tout Nanterre était mobilisé ok mais là non, comment mobiliser 30 000 étudiants ? On va continuer à manifester et à assister aux AG.

Victor Mendez, membre de l’UNEF et du Nouveau Parti Anticapitaliste, en deuxième année de sociologie à Nanterre

Comment la mobilisation s’organise, quel rôle as-tu joué ?

J’y suis depuis le début : en fait ça fait depuis novembre qu’on se mobilise contre la sélection, on a mobilisé dans l’optique de construire une grève massive dans l’université, ça a toujours été la boussole, l’objectif pour pouvoir faire reculer le gouvernement. Là on y est très près parce que le mouvement a pris dans plusieurs universités (Mirail, Montpellier, Tolbiac…) et s’étend à une vingtaine d’universités dont Nanterre, qui lundi 9 avril dernier a été victime d’une répression très importante. Le président de la fac, monsieur Jean-François Ballaudet, craignant un début de mobilisation a fait intervenir les CRS pour mater le mouvement a l’oeuvre.

Il n’a pas réussi, au contraire il lui a donné un nouveau souffle, très fort, et la réponse qu’ont donné les étudiants de Nanterre est remarquable parce que la réponse à la répression s’est traduite par une grève plus massive. Maintenant notre objectif c’est d’étendre la grève aux lycées puis faire la jonction avec le monde du travail. Nous souhaitons lancer un mouvement semblable à celui qui a eu lieu en 2006 dans les universités, dans le milieu du travail en 1995, faire fusionner les deux mouvements pour recréer un mouvement semblable à mai 68. Notre objectif clairement c’est de faire reculer cette loi et par là l’ensemble de la politique antisociale de Macron.

Quelles sont vos revendications ? Vous vous êtes également ralliés aux cheminots…

Ralliés aux cheminots, à la fonction publique menacée de 120 000 suppressions de poste, ralliés à toute une série de salariés de différents secteurs qui luttent localement contre les conditions de travail qui se dégradent. Tant dans le public que dans le privé et qui se battent aussi contre la répression qui n’est pas seulement en cours dans les universités je pense par exemple au Conseil du 92 qui eux aussi se battent contre les dégradations de leurs conditions de travail, à la Poste ils sont des centaines et font face à des milliers de postes supprimés depuis plus de dix ans (…) On a devant nous la possibilité de faire reculer le gouvernement sur toute la ligne, on a la possibilité d’aller jusqu’au bout

Ca s’organise comment au quotidien ?

Des centaines d’étudiants ne vont plus en cours, déjà tout le bâtiment des sciences humaines est totalement bloqué à l’occasion de la grève reconductible et l’ensemble des étudiants organisent la mobilisation, c’est remarquable. Le bâtiment L aussi est totalement bloqué (philo, humanités…PHILLIA) on est en train de bloquer les bâtiments de droit et d’éco-gestion, de langues et de STAPS pour mettre totalement en grève l’université.

Les profs sont mobilisés aussi ?

Oui, ils ont fait une assemblée du personnel hier (le 11 avril dernier NDLR) et ont voté l’annulation des partiels et la grève des enseignants qui vont permettre aux étudiants de poursuivre la mobilisation, c’est dans ce sens-là qu’il faut aller. On vient de voter l’invalidation de tous les partiels, on va l’appliquer, que Jean Francois Ballaudet le veuille ou non les partiels ne se tiendront pas. On bloquera les partiels.