Journal d'un confiné à Paris : day 1

undefined 16 mars 2020 undefined 15h10

Louis Haeffner

Confinement, day 1 :

Oui j'écris "day 1" en anglais, ça fait plus cool que "jour 1", qui me fait penser à mon emploi du temps de 6e, va savoir pourquoi. Bref, ce matin, je me suis levé bien tard pour un lundi matin. Normalement je suis debout à 8h30, je fais un semblant d'exercice physique, je prends une douche, je me brosse les dents, je m'habille et je prends la direction du bureau. Quinze minutes de métro, quatre stations et un changement à Stalingrad plus tard, il est 9h30 et je salue mes collègues avec un enthousiasme mesuré mais non feint. Ça, c'est ce qui se passe normalement.

Ce matin 16 mars, ce fut quelque peu différent. Je me suis réveillé à 9h, en même temps que ma compagne qui me grimpait dessus pour atteindre son téléphone, posé sur ma table de chevet – va savoir pourquoi – et qui n'avait pas sonné l'alarme habituelle. « Merde, il est 9h. » Elle enfile un pull par-dessus sa chemise de nuit en se levant, et va s'asseoir à la table, la seule qu'on ait dans notre studio de 36 m2 balcon compris, puis ouvre son ordinateur et pose un ridicule casque-émetteur sur ses oreilles. Marie-Jeanne est en télétravail depuis vendredi, elle est déjà habituée. De mon côté je prends mon temps, je traîne sur mon téléphone, je vais voir ce qu'il se passe sur Facebook, rien de vraiment intéressant, un tour sur Instagram, rien non plus à part des vidéos de skate, puis Whatsapp, et l'éternelle conversation lancée il y a bien 2 ans maintenant avec les copains... et là, wow, c'est l'apocalypse sur le groupe.

Anselme soutient que c'est grave, qu'il l'avait dit y'a trois semaines déjà quand Jean lui répondait « c'est une grippe » alors que lui savait, c'est à cause des Chinois, ils sont sales – il est relou Anselme on sait jamais s'il est sérieux ou pas, s'il est con ou s'il fait exprès –, mais alors s'il sait pourquoi est-ce qu'il est sorti samedi soir, lui rétorque Virgile qui est du même avis que Jean. « Anselme, arrête d'être débile, écoute les consignes, reste chez toi et arrête de faire le fragile », écris-je, dans l'espoir vain de régler le truc en faisant appel à son bon sens et en le taquinant un peu. Bien sûr ça n'a pas fonctionné, et à l'heure où j'écris ces lignes (16h10), la conversation n'a pas cessé, les arguments sont toujours les mêmes, et les fantasmes vont bon train, à coups de captures d'écran de conversation avec « une pote de Fantine dont le père est militaire qui a dit que couvre-feu à 18h et armée dans les rues »... bref, vous voyez le truc, l'enfer de la course à l'information, fausse ou réelle, initiée dans tous les foyers du monde par Internet. Ça donne lieu à un déchainement de conneries assez surprenant à observer : on spécule, on s'avance, on annonce, on prévient, limite on prend des paris, tout ça dans l'attente d'une prise de parole du président de la République à 20h ce soir, qui répondra à la question qui semble parfois avoir pris le plus d'importance dans cette crise sanitaire : qui a raison ? Tout le monde à un avis, se lance dans l'évocation de chiffres, compare avec la situation dans d'autres pays, avec d'autres moments historiques... alors que pour une fois, il n'y a qu'une chose à faire : écouter les consignes. Internet aura fait de chacun un spécialiste en puissance ; rares sont les virologues mais infiniment nombreux ceux qui croient savoir quand l'épidémie va s'arrêter, et quel nombre de victimes elle aura engendré. 

Lassé par cette "discussion" qui ne va nulle part et n'ayant aucunement envie de me lancer dedans de toute façon, je finis par me lever. Il faut que j'aille au bureau récupérer mon ordinateur, car ça y est, notre boss a fini par accepter l'irrémédiabilité de la situation et donc du télétravail. J'emprunte une des voitures dévolues à la distribution du magazine et garées dans un parking près de chez moi, ça me facilitera le travail pour trimballer l'ordi – un i-Mac bien massif et bien lourd, serti de jolis auto-collants sans direction artistique aucune – et ça m'évitera de prendre le métro qui, même s'il reste ouvert, est devenu un endroit peu fréquentable. À bord de cette superbe Twingo Night & Day de 1998 (c'est mon estimation, au vu de son état et du souvenir que j'ai des Twingo qui passaient en klaxonnant quand on a gagné la Coupe du Monde avec Zizou), je constate que les rues sont loin d'être désertes, que de longues queues se forment sur les trottoirs devant les supermarchés, et que très rares sont encore ceux qui portent un masque. Hier, apparemment, les parcs et marchés extérieurs étaient bondés. Anselme devait y être, arguant à qui voulait l'entendre qu'on ne lui enlèverait pas sa liberté. Non c'est sûr Anselme, on ne t'enlèvera pas, ni à toi ni aux autres d'ailleurs, ta liberté d'être irresponsable et accessoirement débile. Rues loin d'être désertes donc, mais ambiance étrange quand même, mélange de peur et de fierté, de fatalisme et de panache mal placé. À qui croyez-vous en imposer en "continuant à vivre" ? Rester chez soi, c'est pourtant pas compliqué...

17h11, je viens de relire un article annonçant la fermeture à Paris des parcs et jardins. J'en suis à accueillir avec soulagement ce genre de mesures. Ça me fait penser à cette discussion avec un voisin, dans l'ascenseur, au sujet du monde qu'il y avait dehors hier ; après quelques banalités sur le confinement, il me sort tout de go : « les Français sont trop indisciplinés, c'est un truc de fou ». J'ai répondu « grave ! », mais j'avais envie de lui dire « on n'est pas trop indisciplinés, on est trop cons ». Vivement demain !