Journal d’un confiné : day 3

undefined 18 mars 2020 undefined 17h25

Sarah Leris

8h, Paris 18e. Je me réveille naturellement comme depuis plusieurs mois, mon horloge interne essayant désespérément de me faire maintenir un semblant de rythme habituel. Il y a quelques jours, je m’étais préparée psychologiquement à l’expérience en lisant l’article d’une collègue dans lequel elle prodiguait quelques conseils pour bien télétravailler. Depuis j’essaie de les suivre, puisque je n’ai que ça à faire. Je me réveille naturellement, donc, comme depuis plusieurs mois, je profite encore de cette période de transition où mon corps n’a pas compris que le bureau, c’est fini, je me douche, je me savonne, je me lave les dents, je prends mon petit-déjeuner. Ce moment de la journée, d’habitude tant détesté – et c’est un euphémisme, comme tout oiseau de nuit qui se respecte je voue une haine sans limite au réveil du matin –, eh bien ce moment depuis trois jours est devenu mon préféré, car à cette heure-ci je ne suis pas confinée. Je suis Sarah, 25 ans, journaliste, qui se douche, se savonne, se lave les dents et prend son petit-déjeuner avant d’aller travailler, déjeuner à l’extérieur, voir des amis, se promener. C’est encore l’heure limite à laquelle j’arrive à tromper mon cerveau, à lui faire croire qu’aujourd’hui tout revient dans l’ordre, puisque je suis lavée et qu’il n’est même pas 8h30. Si c’était le week-end, pour sûr je dormirais encore, une bonne grasse matinée pour me remettre de la soirée d’hier, mais nous sommes mercredi et comme je vous le disais, j’arrive à tromper mon cerveau, car à cette heure-ci tout est comme avant, avec une légère nuance : désormais je ne me plains plus de devoir me lever pour travailler. Ça m’occupe.

Sur une conversation groupée Whatsapp, des adultes à l’humour d’adulte s’activent à faire un maximum de blagues loin d’être hilarantes. Peut-être se croient-ils drôles, peut-être ressentent-ils le besoin de communiquer et qu’on leur réponde en retour. Je décide de ne pas répondre. Si pour l’instant le confinement n’a pas particulièrement été synonyme de productivité pour moi, je me promets que le temps viendra et me rappelle cet autre article, écrit par un Italien, qui explique que le plus difficile est l’acclimatation des premiers jours. Soit. L’heure des lessives, de la vaisselle et du grand rangement de printemps arrivera un jour ou l’autre.

Dans mon studio parisien au 1er étage sur cour, la lumière n’entre pas. Ce qui ne me dérangeait qu’un peu auparavant est devenu réellement handicapant, et le vis-à-vis finit par me convaincre de ne même pas ouvrir entièrement les rideaux par peur d’être observée par les voisins en pyjama. Seule depuis mon lit, je règne sur tout mon royaume, du placard à la salle de bain, de la cuisine à la porte d’entrée. J’ai fait l’erreur de stocker assez de nourriture mais pas suffisamment de livres, aquarelles et autres activités solitaires qui auraient pu rendre mon confinement plus jovial. Je décide d’oublier la déprime, fais un tour sur Spotify, tape les Beatles dans la barre de recherche, pousse le son de mon ordinateur au maximum, et en avant Guingamp. Me voilà aussitôt à chanter et à danser au milieu de mon salon/chambre/espace de travail/salle à manger, je fais tomber un vase mais je m’en fiche, je virevolte devant mes voisins qui fument à la fenêtre, toujours en pyjama. "Eleanor Rigby" n’est jamais loin pour me remonter le moral.

J’ai terminé ma journée de télétravail en rédigeant un article sur des animaux sauvages qui se réapproprient les villes confinées. Bientôt peut-être les fontaines de Paris accueilleront-elles, elles aussi, des canards et des cygnes comme en Italie. Peut-être la Seine sera-t-elle claire et limpide comme de l’eau de source à l’image des eaux de Venise. Quant aux dauphins, je ne nourris pas trop d’espoir, même si plus grand chose ne m’étonne en ce moment.

La journée est splendide et, en me penchant depuis ma fenêtre, j’entraperçois quelques rayons de soleil qui atteignent tout juste mon appartement reculé. Une fête bat son plein chez mes voisins d’à côté – ce n’est pas une blague, ces idiots ont invité tous leurs amis et s’esclaffent particulièrement fort en trinquant au confinement, je vais les tuer –, j’hésite à leur crier ma façon de penser, mais j’ai beau ne rien y connaître en astrologie,je sais que les Poissons sont réputés pour leur capacité à se perdre dans leurs pensées et à prendre un malin plaisir à se couper du monde. Alors je prends sur moi, j'allume une cigarette et je pars me perdre quelque part par là, au fond, dans mon monde à moi.