Plongée en eaux troubles avec les poissonniers de Paris

undefined 12 janvier 2018 undefined 12h33

Tiana Rafali-Clausse

Coquillages et raz-de-marée pour nos charmantes poissonneries de quartier. De moins en moins de Parisiens poussent leurs portes, comme celles des autres commerces de proximité, selon un rapport publié en octobre 2016 par l’Inspection générale des finances (IGF). Pourquoi ? Manque de temps, prix trop élevés, une industrialisation chaque jour plus intense… Au café du Commerce, chacun a son mot à dire. Alors on a passé du temps avec quelques illustres poissonniers pour en savoir plus sur ce que c’est de tenir la barre de ces adresses iodées. Un état des lieux aussi noir qu’il y paraît ?

De 2 millions en 1930 à quelques 800 000 aujourd’hui, selon le fameux rapport, les commerces de proximité ont bien quitté le navire. Les traiteurs, ateliers, librairies, kiosquiers, bistrots d’antan sont délaissés au profit de rayons aseptisés à la taille monstrueuse illuminés de néons blancs, remplis à ras bord de produits industriels.

Pour Charly, notre illustre poissonnier de la rue Oberkampf, c’est « carrément scandaleux. Je suis l’un des seuls qui s’investit pour faire vivre mon quartier depuis 2003. Je mets tout mon cœur pour faire de ma poissonnerie un lieu de vie, de passage, le tout avec le sourire et une pêche d’enfer, et quoi ? Ce matin par exemple, j’ai eu une vingtaine de clients, c’est bien mais ça devrait être tellement plus ! ».

Alors pourquoi les poissonneries n’attirent plus le chaland ? Pour Amaury*, poissonnier dans l’Est parisien qui préfère rester discret, « c’est une question de temps. Maintenant les gens préfèrent les plats cuisinés plutôt que de faire griller eux-mêmes un bon filet de daurade… » regrette-t-il. « Question de choix ou d’envie, il est vrai qu’en 10 ans notre clientèle a pas mal évolué et se dirige plus vers des plats cuisinés que vers une cuisine maison et des produits frais ». Ça vous parle ?

Et quel est le paradis des flemmards et des surbookés ? Les supermarchés, bravo ! Rien qu’aux alentours du commerce de Charly, il y en a sept, « sept de trop ». Le phénomène n’est pas exclusif au 11e puisque d’après une étude de Bonial en 2016, les commerces de plus de 100 m2 ont plus que doublé en dix ans dans la capitale.

Plus qu’une question d’envie, Charly en est certain, « c’est une fatalité. Les clients délaissent la qualité, la proximité, le savoir-faire et les petites attentions pour des économies de bout de chandelle. Ils préfèrent se voiler la face sans penser à la pêche durable et française… c’est minable » conclut-il sans appel.

Pour Smail, écailler de l’autre côté de la capitale, le problème est ailleurs : « peut-être que la fréquentation des poissonneries baisse parce que la manière de les gérer n’est pas bonne. Être commerçant de quartier, ça ne s’improvise pas, c’est un art. ». Soit. Alors pour faire sortir la tête de l’eau à nos poissonneries de quartier, il faudrait privilégier la qualité à la quantité, le frais au surgelé et bien sûr, tout ça a un coup évident.

D’ailleurs, qu’en pensent les clients ? Rachid*, fervent amateur de fruits de mer, et plus particulièrement d’huîtres, avoue ne pas aller tant que ça dans les poissonneries mais “slurper” dans les bars, qui ferment plus tard…

Lors de cette enquête, plusieurs poissonniers que nous avons approchés n’avaient presque pas le temps de nous en accorder. Grâce au rush des fêtes de fin d’année ? Peut-être, ou peut-être est-ce grâce à leur popularité dans le quartier, la qualité de leurs produits et la présence passionnée de leurs clients.