Petite histoire des pandémies au XXe siècle

undefined 20 avril 2020 undefined 19h59

Manon Merrien-Joly

Plus grave pandémie que l'Europe ait jamais connu, la peste noire (1347-1352) a tué entre 25 et 45 millions de personnes en Europe et en Asie. Certaines villes ont perdu la moitié de leurs habitant.e.s en quelques mois. En 1720, la peste de Marseille – dernière grande épidémie de peste enregistrée en France – a emporté à peu près la moitié de sa population avec elle. Depuis, la médecine moderne a fait son bout de chemin, de même que les virus. 


1918-1919: la grippe espagnole

L'histoire : Si la grippe espagnole a été la plus meurtrière du XXe siècle, la maladie a toujours été présente dans l’histoire : avant celle-ci, les pandémies de grippe se produisaient dans le monde en moyenne trois fois par siècle, s’accélérant de 1700 à 1889 pour se produire tous les cinquante à soixante ans. Puis dès 1889, l’intervalle se réduit : les grippes surviennent tous les dix à quarante ans, probablement à cause de l’accroissement de la population, de l’urbanisme et de l’accélération des échanges internationaux.

Les causes : La Première Guerre mondiale touche à sa fin, et les soldats sont les premiers touchés par cette grippe. La guerre est le dénominateur commun aux trois hypothèses expliquant son apparition. La première, situant les premières souches entre 1889 et 1900 au Kansas, porte sur des jeunes Américains ayant développé des anticorps. Ces soldats étaient réunis dans des camps d’entraînement militaires de 50 000 à 70 000 individus avant de traverser le pays et de naviguer jusqu’à l’Europe. Selon le professeur Michael Worobey, professeur de biologie à l'Université d'Arizona, le virus responsable de la grippe espagnole serait né de la combinaison d’une souche humaine (H1), provenant de la grippe saisonnière H1N8, en circulation entre 1900 et 1917, avec des gènes aviaires de type N1, donnant naissance à l’ancêtre de la grippe H1N1. Les soldats ayant contracté le virus n’étant pas immunisés contre ce type de grippe, ajoutez-y les circonstances de la fin de la guerre, « de mauvaises conditions sanitaires, des populations affaiblies et de grands rassemblements » selon le professeur Patrick Berche, professeur de microbiologie à l'hôpital Necker (Paris), et vous obtenez une maladie prête à se propager dans le monde entier.

En Angleterre on combat l'épidémie de grippe [la potion donnée aux enfants] : [photographie de presse] /© [Agence Rol]

La seconde hypothèse situe elle aussi le départ de l’épidémie au Kansas. Loring Miner, un médecin en zone rurale, est confronté à des cas au début de l’année 1918. Alerté par le taux de mortalité, il envoie un rapport aux autorités sanitaires. Quelques semaines plus tard, l’un des premiers clusters serait apparu du côté de la base militaire de Fort Riley au nord-est de l’État. L’épidémie se serait propagée ensuite de l’Amérique du Nord à l’Europe par le débarquement de la force expéditionnaire américaine à Bordeaux en avril 1918.

Une autre hypothèse : en 1916-1917, des cas précoces et mortels d’infections respiratoires sont signalés dans le camp d’Étaples dans le Pas-de-Calais, où les Britanniques ont installé le plus grand complexe hospitalier jamais construit, et à Aldershot au Royaume-Uni. Ici aussi, un terreau particulièrement fertile à l’émergence d’une pandémie grippale selon le docteur Karl Feltgen : « surpeuplement, cochons vivant à proximité d’oies, de canards, de poulets et de chevaux, et gaz (certains mutagènes) utilisés en grande quantité. ».

Des centaines de malades soignés à l'hôpital de Camp Funston, au Kansas, en 1918, soupçonné d'être le foyer de l'épidémie. © OTIS HISTORICAL ARCHIVES/NATIONAL MUSEUM OF HEALTH AND MEDICINE/WIKIMEDIA COMMONS

Au crépuscule de la Première Guerre mondiale, l’épidémie se propage rapidement via les troupes alliées de la Grande-Bretagne aux États-Unis en passant par l’Italie et l’Allemagne. En juin 1918, elle atteint son pic de contamination. Mais ça, peu de gens le savent puisque ces pays sont en guerre et censurent les informations sur la maladie pour ne pas affecter le moral – déjà bien entamé – des populations. C’est de là que la grippe espagnole tient son nom : la presse espagnole n’est pas concernée – le pays est neutre – par l’obligation de censure et diffuse donc les premières informations au sujet de la pandémie de grippe. Selon Laura Spinney, auteure de La Grande Tueuse. Comment la grippe espagnole a changé le monde (Albin Michel, 2018), « la majorité des historiens s'accorde à reconnaître que la grippe espagnole a accéléré la fin de la Grande guerre ». C’est déjà ça de pris, non ?

Bilan : De 20 à 50 millions de morts selon l’Institut Pasteur – jusqu’à 100 millions selon certaines récentes réévaluations, décimant alors de 2,5 à 5 % de la population mondiale.


1956-1958 : La grippe asiatique

L'histoire : Nous sommes en 1957, dans les provinces chinoises du Guizhou et du Yunnan. Les chercheurs des laboratoires de Melbourne, Londres et Washington y découvrent l’apparition d’un tout nouveau virus qui s’étend à Singapour puis à Hong Kong. Le virus gagne ensuite les États-Unis avant de suivre les routes terrestres et maritimes et de se propager dans la totalité du monde en six mois. Cette nouvelle "grippe asiatique" est la première pandémie de grippe à être suivie en temps réel par des laboratoires de virologie : à l’exception des plus de 70 ans – qui possèdent la mémoire immunitaire d'un virus similaire, datant vraisemblablement de 1889-1890 –, personne n’est immunisé contre ce virus.

Traitement épidémique dans un hôpital de Suède (photo prise en © Wikipedia

En première ligne : Les patients cardiaques et les femmes enceintes au troisième trimestre de grossesse. Une étude sur des cas hospitalisés confirmés montre le large spectre de gravité des cas, qui va d'une fièvre de 3 jours sans complication jusqu'à la pneumonie mortelle. À l’époque, la presse ne s’en alarme pas jusqu’au pic à l’automne 1957 où les stocks de médicaments s’épuisent rapidement, le nombre de vaccins étant insuffisant. Elle finira par s’éteindre… naturellement. Neuf millions de Français.es l’ont attrapée puis ont été immunisés.

Bilan: 1,1 million de morts (selon le CDC), de 11 000 à 100 000 en France selon les sources.


1968-70 :  la grippe de Hong Kong

L'histoire : À l’heure où les révoltes étudiantes grondaient un peu partout en Occident, où les pétards circulaient de main en main, la grippe de Hong Kong fait son apparition entre l'été 1968 et le printemps 1970, tuant notamment beaucoup d’enfants. Considérée comme la première pandémie de l’ère moderne, favorisée par les transports aériens rapides, la grippe de Hong Kong n’est – au même titre que sa cousine la grippe espagnole n’est pas née en Espagne – pas apparue dans l'ex dominion britannique, mais en Asie Centrale ou dans le centre de la Chine vers le mois de février 1968. Cependant, c’est à Hong Kong qu’elle est reconnue, où elle touche à l’été un demi-million d'habitants, soit 15 % de la population. Après avoir atteint l’Asie et les États-Unis à la fin 1968, le virus débarque en Europe pendant l’hiver 1968-69. En octobre 1969, plusieurs scientifiques réunis à l’occasion d’une conférence internationale de l’OMS pensent que l’épidémie touche à sa fin. Manque de bol : c’est à ce moment qu'elle se répand en Europe.

Bilan : Un million de morts (chiffre cité par l'organisme américain de surveillance et prévention des maladies CDC) dans le monde, 31 000 en France.


De 1981 à nos jours : le Sida

L'histoire : Si le Sida n’est considéré comme une pandémie qu’en 2002, il a fait son apparition presque un siècle plus tôt. On le confond régulièrement avec le VIH : le VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) est responsable du Sida (Syndrome de l’immunodéficience acquise). Le Sida, c’est le dernier stade du VIH, lorsque le système immunitaire est si affaibli qu’il devient vulnérable à plusieurs infections qui ne seraient habituellement pas mortelles.

La cause : Le mode de transmission n’est à ce jour pas connu, mais les études scientifiques suggèrent que le virus HIV-1 serait apparu dans les années 1920 dans le bassin de la République Démocratique du Congo, à Kinshasa. À l’époque, le pays était colonisé par les Belges et voit le développement de ses liaisons ferroviaires et sa population s’accroître, surtout à Kinshasa, ce qui pourrait avoir favorisé la propagation du virus. Les VIH sont issus d’un groupe de virus qui provoquent des maladies similaires au Sida chez les primates, les virus de l'immunodéficience simienne (VIS) : les différents virus sont le résultat de la transmission des VIS via des mutations, notamment par certaines espèces de singes, à l’être humain. Le premier échantillon recensé du VIH fut recueilli en 1959 à Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa) et serait entré aux États-Unis dix ans plus tard.

Aujourd’hui, 24,5 millions de personnes ont accès à des traitements antirétroviraux (ARV) qui, lorsqu'ils sont pris régulièrement, bloquent très efficacement certaines étapes du cycle de multiplication du VIH et réduisent très fortement les risques de contamination.

Bilan : 32 millions de morts en 2018, selon l'Onusida


On vous laisse sur une touche plus légère, avec cette vidéo de 2005, en plein épisode de grippe aviaire : dans ce reportage, France 3 interroge les vertus médicinales du Pastis pour soigner la grippe. Alors, info ou intox ?


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Patrick Berche, Faut-il encore avoir peur de la grippe ? Histoire des pandémies, Odile Jacob, 2012