Rencontre à vélo avec les Alchimistes, les Superman des déchets organiques

undefined 27 octobre 2017 undefined 17h39

Camille H

Collecter et composter en ville, c’est le concept ambitieux et visionnaire du duo d’Alchimistes que forment Fabien et Alexandre. Les deux co-fondateurs de la start-up souhaitent « réenchanter la ville ». Pour comprendre comme il se doit le fonctionnement de cette entreprise de transformation de déchets organiques, nous avons enfourché un vélo pour entamer la tournée du compost. Les pieds sur les pédales, on a suivi ardemment la piste du circuit court.


Casque sur la tête, lunettes de soleil sur le nez, Hani sera notre guide aujourd’hui pour cette tournée de collecte de déchets organiques. Muni de son vélo électrique et de son sourire bright, il traine une petite remorque dans laquelle des poubelles à compost attendent sagement d’être remplies.

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La fine équipe que nous formons désormais part à la conquête du 14e et du 13e pour récupérer les déchets de deux Biocoop. Sur la route, les passants regardent avec insistance le convoi écolo passer. « Certaines personnes sont souvent intéressées pour donner leurs propres déchets, ils nous interpellent dans la rue », confie Hani entre deux feux. Premier arrêt au Biocoop La Ruche d’Alésia. Ici, tout le monde connaît le cycliste roi du compost. Les vendeurs connaissent la procédure et Hani échange en quelques secondes les poubelles pleines de déchets contre des vides. Dedans, les invendus qui ne peuvent pas être donnés aux associations. « On donnait déjà à une asso pour le fond alimentaire mais une partie n'était pas récupérable, pour nous c’est vraiment la solution adéquate », explique Sokha Bam-Bath, gérant du magasin.

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Lorsqu’au printemps Les Alchimistes font la tournée des commerçants, en priorité des enseignes bio, pour présenter le concept, Sokha est immédiatement réceptif. « On a connecté très naturellement, nos ADN étaient compatibles ! » Depuis, Les Alchimistes passent deux fois par semaine pour récupérer les déchets organiques. Dans quelques mois, l’idée est de pouvoir vendre en vrac le compost qu’ils auront permis de transformer. « On a dans l’idée de créer des bacs végétalisés avec notamment des plantes aromatiques. On pourra donc vendre le compost mais aussi l’utiliser dans une démarche pédagogique. On est vraiment, avec Les Alchimistes, dans une volonté de recréer un écosystème dans le quartier» Sokha est également gérant dans un autre Biocoop rue de Tolbiac. Et ça tombe bien, c’est notre deuxième et dernier arrêt. Après avoir récupéré quatre poubelles de déchets, la remorque d’Hani s’alourdit.

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« Là ça va monter un peu, attention. » Effectivement, ça tire un peu dans les jambes. La tournée s’achève et nous rentrons au bercail, à savoir aux Grands Voisins. Ce lieu éphémère, prolongé pour 26 mois il y a peu, foisonne d’associations innovantes à dimension sociale. C’est là que les déchets organiques sont transformés, assez magiquement, il faut bien le dire, en compost.


Le site de compostage, ça turbine comment ?

C’est Fabien-Kenzo Sato, polytechnicien de formation mais surtout co-fondateur des Alchimistes, qui nous accueille. Une fois les déchets récoltés, c’est ici qu’on composte mécaniquement. L’idée ? « Composter des biodéchets en ville de manière rapide, sans nuisance olfactive ou sonore, tout en garantissant une production de compost de haute qualité. » Dans une petite cabane en bois, depuis août dernier, une étrange machine turbine. Quasi-silencieuse et consommant très peu d’énergie, le composteur permet d’accélérer le processus.

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Deux semaines passées en machine permettent une dégradation rapide de la matière organique. A l’intérieur, un axe muni de pâles effectue quelques tours toutes les deux heures pour permettre une oxygénation idéale afin que la nature travaille dans les meilleures conditions. Au contact de l’air, l'azote et le carbone présents dans la matière organique entament la décomposition. « En plus des déchets, on ajoute des copeaux de bois pour structurer la matière et assécher un peu, car les déchets alimentaires peuvent être extrêmement humides. Ça permet d’obtenir un compost de qualité », précise Fabien, tout sourire.

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Après deux semaines passées dans le composteur, les déchets sont transformés en un compost made in Paris. Ils sont ensuite placés quatre semaines dans des bennes de maturation. « Pour les particuliers, on va filtrer les petits morceaux de bois qui peuvent rester pour qu’ils puissent l’utiliser pour leurs plantes. Par contre, pour certains maraichers, notamment ceux qui pratiquent la permaculture, on laisse tel quel. Ils peuvent tapisser les potagers pour les protéger du froid par exemple. Ce n’est pas seulement un engrais. Le sol à long terme libère des nutriments au fur et à mesure que le sol en a besoin », poursuit Fabien, hyper calé sur le sujet. On croise Hani qui s’affère un couteau à la main. Il ne fait pas la guerre aux déchets mais découpe les légumes un peu trop gros.

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« Quand on collecte auprès des restaurateurs, ce sont souvent des épluchures donc il n’y a aucun problème, mais pour ce qui est des magasins, ce sont souvent des légumes entiers, donc il faut recouper un peu », précise Fabien. Le site des Alchimistes se réinvente tous les jours, l’installation expérimentale, au départ, a fait ses preuves. L’inspecteur du ministre de l'Agriculture a accordé l’agrément sanitaire d'ouverture du site. Les Alchimistes produisent donc le 1er compost made in Paris agréé. Si aujourd’hui le site de compostage produit 150 kilos, à long terme les futures installations iront plus loin. « On souhaite faire dix fois plus de compost, précisément 1,5 tonnes par jour. »

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On presse le pas et on enquille les marches qui nous mènent à La Ruche, espace de coworking présent aux Grands Voisins. Alexandre Guilluy, deuxième co-fondateur des Alchimistes, nous attend sur le pas de la porte des bureaux.


Un projet à dimension écologique mais aussi sociale

Au-delà de l’ambition évidemment écologique, la start-up développe une vision sociale. Elle emploie des personnes en réinsertion. Les Alchimistes sont soutenus par deux structures de réinsertion professionnelle : Etude et chantier et Halage. « Hani est un salarié en insertion, l’idée c’était lui créer un poste de super concierge de quartier, un boulot plus sympa que les métiers du secteur de la gestion des déchets », explique Alexandre Guilluy. Le but pour eux est de faire rayonner quelqu’un autour d'une installation, qu’il ait un vrai lien avec le client, qu’il puisse voir le déchet et le produit du compost fini. Hani participe à toutes les étapes. Ce sont les mêmes personnes qui collectent et transforment les déchets. « Derrière, ils peuvent voir ce qu’on peut faire avec le compost, de jolies fleurs, des potagers partagés. Ça rend le travail valorisant. On veut transmettre le message que même des profils avec des bas niveaux de qualification peuvent travailler facilement pour Les Alchimistes et s’épanouir. » Le co-fondateur souligne aussi la démarche plus globale, sociétale, sur la question de la gestion des déchets.

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« Il y a presque un aspect philosophique dans la relation qu’on a aux déchets. On a créé une société dans laquelle les déchets sont loin des yeux, loin du cœur. Ce ne sont pas les grosses usines à des kilomètres de nous qui vont nous faire visiter leurs locaux et nous expliquer comment ils travaillent. On nous a appris à fermer notre poubelle et à ne s’occuper de rien. Il faut reprendre le geste au départ. » Alexandre souligne également la dimension économique que soulève le problème des déchets traités dans de grosses usines lointaines : « payer une fortune pour transporter des déchets, ç’est un non sens. ». Sans compter l’aspect écologique de la pollution visuelle et odorante.


Les Alchimistes du futur
 

A l’avenir, Les Alchimistes veulent s’engager dans une dimension pédagogique en proposant aux écoles de venir visiter la micro-usine. Il y a bien sûr l’envie de grossir mais aussi d’étendre le traitement des déchets. « En ce moment on fait des tests pour créer du compost à partir de couches usagées» Car il se trouve que la couche usagée peut être la base d’un excellent compost à forte capacité rétentrice d’eau. En gros, de quoi faire pousser tes plantes ! Les Alchimistes, que vous pouvez retrouver sur le site des Grands Voisins, souhaitent montrer qu’on peut intégrer les déchets au cœur de notre société sans que ce soit odorant ou dérangeant. Que chacun puisse transformer ses déchets et recréer un écosystème sain et cohérent pour la planète. Des magiciens, des vrais.

Pour soutenir la campagne Ulule qui leur permettra d'installer un composteur électro-mécanique sous la ligne 2 du métro, c'est par ici !