[REPORTAGE] À la quête des trésors culinaires du quartier Belleville

undefined 7 mai 2021 undefined 17h29

Jérémy Denoyer

Belleville réunit plusieurs communautés qui font l'histoire de ce quartier. Et en matière de bouffe – notamment de street-food - vous trouverez toujours un spot où déguster un sandwich tunisien bien chargé, un délicieux bo-bun, des nouilles chinoises à tomber par terre ou encore les meilleures bánh mi de Paris (ex aequo avec le 13e arrondissement, ok).

 

Alex, la référence Wenzhou du quartier

Belleville regorge de tables qui célèbrent la cuisine des populations qu'elle accueille. Et certaines adresses sont devenues des institutions. Implanté au 24 rue de Belleville, Chez Alex restaure le quartier depuis des décennies avec sa cuisine Wenzhou . "Mes parents ont voulu créer une affaire à Belleville, où il y avait beaucoup de Wenzhou mais aucun ne tenait de commerces. La plupart était détenue par des Chinois d'Indochine. Les Wenzhou étaient beaucoup plus présents aux Arts et Métiers, où ils travaillaient comme main-d'oeuvre dans la maroquinerie, explique Alexandre Xu, propriétaire du restaurant fondé par son père en 1992. Nous avons été le premier commerçant Wenzhou de Belleville.

Alexandre Xu, propriétaire de Chez Alex, référence de la cuisine Wenzhou @jeremydenoyer

Aujourd'hui, Chez Alex est la plus emblématique enseigne de la cuisine de cette ville du sud de la Chine dans le quartier... et certainement de tout Paname. Le soja, beaucoup de vinaigre et d'ail, du gingembre et de la ciboule de Chine sont les ingrédients incontournables de la gastronomie wen. Côté plats, "les aubergines chinoises sont une référence", assure Alexandre Xu (on est d'accord), tout comme les différentes raviolis (mention spéciale pour celles au céleri, au gingembre et au porc) et les brioches farcies qui se vendent "toute la journée" pour seulement 1€. Si l'activité est "très calme" depuis la crise sanitaire, la vente à emporter et la livraison permettent de maintenir un peu la barque, dans une rue habituellement très animée en soirée: "Les gens venaient manger avant de boire des coups au Relais et aux Folies", regrette Alexandre Xu, dans l'attente de rouvrir sa terrasse. 

Lim Sept, pour l'amour des nouilles artisanales 

Quelques mètres au-dessus de chez Alex, le restaurant Mian Guan - spécialiste de nouilles sautées et des soupes de nouilles, dont la prépration manuelle fascine les clients novices, est devenu une référence bellevilloise. Mais l'enseigne semble être touchée par le contexte : le rideau est fermé depuis plusieurs semaines, après quelques ouvertures à intervalles irréguliers. Durant cette période compliquée pour la restauration, Laurent Lin – formé à la cuisine dans le Sichuan (nord de la Chine) – a mis a profit la fermeture forcée de son établissement pour retravailler ses nouilles. "J'ai essayé une douzaine de farine de blé pour trouver la bonne formule. Tous les jours nous avons mangé des pâtes", s'amuse le cuistot de Lim Sept, également originaire de Wenzhou.

Viviane Shen et son mari Laurent Lin, chef du Lim Sept @jeremydenoyer

Après plus de 6 mois de travail, son restaurant propose depuis un an ses succulentes nouilles faites maison, bien assaisonnées et accompagnées de légumes comme le rafraîchissant pak choï. "Nous utilisons environ 10 kg de farine tous les deux jours pour faire nos nouilles", ajoute sa femme Vivianne Shen. Afin de faciliter l'approvisionnement, l'essentiel des produits utilisés chez Lim Sept sont originaires de France, mais  l'objectif est de retrouver "le même goût qu'en Chine... en moins  gras". Avant de découvrir les futures raviolis artisanales de la maison Lim Sept - que Laurent Lin retravaille "de A à Z" - ses délicieuses nouilles fraîches à moins de 8 euros (à emporter) et disponibles sur les plateformes de livraison, valent le coup de baguette. 

Bánh mi, bo-bun et pho : un parfum de Vietnam

En traversant le boulevard de Belleville – côté 11e – on bascule dans un little Vietnam du quartier. Du moins, en ce qui concerne la bouffe. Le croisement des rues de la Présentation et Louis Bonnet réunit plusieurs tops adresses au mètre carré. Comme Dong Huong et son labyrinthe de salles, reconnu pour ses bo bun et ses phô (la soupe saté est dangereusement bonne). Les propriétaires de cet empire du quartier détiennent Le Panda de Belleville - sur le même trottoir - qui débite des bánh mi de qualité à la chaîne (avec ses propres fours à pain). 

Tuan Nguyen (à droite), à la tête de la sandwicherie familiale Saigon sandwich @jeremydenoyer

Pour les fanatiques de ce sandwich viet chargé de légumes et de viande (ou tofu pour les végés), Saigon Sandwich est un must du genre ! Dans cette minuscule échoppe, les bánh mi sont préparés en famille depuis plus trente ans sous les yeux des clients. "Nous sommes la 3e génération à faire nos sandwichs, nous marinons nos viandes 24 heures sans avoir peur de donner un goût assez fort", explique Tuan Nguyen, en gérant l'afflux de commandes. La sandwicherie est alimentée toute la journée par une boulangerie située à deux pas. "La baguette, fruit de la colonisation française, est la base d'un bon sandwich. Les Asiatiques aiment notre Spécial maison, avec un mélange de viandes froides (porc rôti, pâté vietnamien, poulet émincé), alors que les Européens préfèrent davantage les sandwichs chauds", confie Tuan. Mais que ce soit en combo de viandes ou garnis uniquement de poulet à la citronnelle, au curry ou au boeuf saté, les bánh mi.  Saigon sont des merveilles réconfortantes pour environ 4 euros l'unité. 

Fricassés et sandwichs au thon... Belleville, la Tunisienne

Installés dans le quartier dès le début des années 1950, les Juifs tunisiens sont une communauté historique du Belleville d'après-guerre. Quelques années plus tard, des Tunisiens arabo-musulmans se sont également installés ici, comme d'autres populations du maghreb. Le quartier reflète la présence de ces communautés, notamment sur le bouleverd de Belleville, où la synagogue Michkenot Yaacov est implantée entre la boucherie casher Henrino et le restaurant Tunis-Tunis, réaménagée en cette période de ramadan. "Les Arabes qui vivent ici apprécient la même bouffe tunisienne. Pendant le ramadan, les musulmans viennent prendre nos fricassés, assure Yaël Bsiri-Lellouche, de Chez René et Gabin, table casher incoutournable du quartier.

©Yaël Bsiri-Lellouche et sa maman Linda, propriétaires de René et Gabin @jeremydenoyer

"Nous vendons entre 600 et 800 sandwichs tunisiens la semaine qui suit Pessah (Pâques juive) et les Français viennent aussi manger notre couscous à la viande... ou le végétarien pour les bobos. Nous touchons tout le monde ici." Si "l'entraide et le partage" existent entre les communautés juives et arabes du quartier, Yaël reconnaît que le boulevard est comme coupé en deux : "Maintenant, toute cette partie (20e ) est bobo et juive", faisant référence à l'installation récente des brasseries comme Les Triplettes de Belleville, le BLV, ou encore la Pizzeria Tripletta, installée depuis 2016 en lieu et place de La Goulette, autre ancien repère des Juifs tunisiens du quartier. 

Dinapoli, la folie des Mlawi 

Clairement, l'image est assez nette durant le ramadan. Les stands de pâtisseries, de pains semoule, de boissons et de bricks - vendus pendant ce mois du jeûne - s'étendent surtout de l'autre côté du trottoir. Et sur cette partie du Boulevard de Belleville (11e), en allant vers Ménilmontant, la sandwicherie Dinapoli est devenue une adresse star du quartier. La queue s'allonge parfois sur 30 ou 40 mètres pour déguster un chapati ou un mlawi – cette crèpe de farine de semoule extra-fine remplie d'oeuf, de salade méchouia, de thon et d'harissa (pour les vrais). Ce snack tunisien ouvert en 2015 offre une cuisine simple, traditionnelle et même "nostalgique", selon Salim, le directeur commercial, à des prix "imbattables" (5 euros le sandwich et la boisson).

Mlawi au thon de Dinapoli (4,5€)

"Au pays, nous mettons de l'harissa et la méchouia. Mais nous avons rajouté du fromage (kiri) et des frites pour avoir un sandwich balèze", explique Kamel Faleh, revendiquant des clients venant d'Allemagne et de Belgique. Alors que les pâtisseries inondent le trottoir devant l'enseigne arborant un drapeau tunisien, le chiffre d'affaire est en baisse depuis la fermeture temporaire de La Cantine orientale, l'adresse mitoyenne détenue par le même propriétaire. Lors de sa réouverture, vous pourriez déguster des spaghetti à la tunisienne, une loubia ou un keftaji aux côtés peut-être d'Oxmo Puccino, déjà aperçu à la table de ce boui-boui populaire et réconfortant.