Chroniques cannoises #4 : de la lumière à l’enfer

undefined 26 mai 2017 undefined 00h00

La Rédac'

Le réveil est dur, les souvenirs sont flous, la vitre de mon Iphone explosée : mais que s’est-il donc passée hier soir ? Bien entendu, mes premiers souvenirs remontent au Silencio et à la rencontre d’une jeune québécoise qui m’a traité de raciste à l’insu de mon plein gré, puis vient le Baron, une bouteille de champagne et Benicio Del Toro en face de moi. S’en suit alors un petit déjeuner au Martinez. Pas si flou finalement ! Et j’ai quand même pu aller voir Hikari de Naomi Kawase (sélection officielle).

Après cette magnifique scène de deuil dans Still the water, Kawase sait parfaitement jouer avec nos émotions les plus primitives. Son ton pastel qui peut agacer n’est en rien dérangeant, il se moule parfaitement bien dans cette histoire d’amour subtile et profonde entre un photographe tombant aveugle et une jeune femme, audio descriptrice de films. Tout y est juste, presque trop d’ailleurs. Encore une fois, la facilité de la mise en scène peut déconcerter la critique, mais je crois qu’il faut apprécier à sa juste valeure cette sublime histoire d’amour.


Mais bien entendu, il est bien obligé de faire jouer la concurrence avec ces partenaires de la sélection officielle, et fort est de constater qu’Hikari n’arrive pas au niveau de plusieurs long-métrages déjà décryptés ici (120 BPM, Le jour d’après pour ne citer qu’eux). Il ne faut cependant pas bouder le plaisir de cette lumière pénétrant les ténèbres, ce jeu de l’imaginaire terriblement touchant. Sortir la tête de l'eau n'est pas aisée lorsque les films s'enchaînent. Mais qu'il est bon de descendre pour la première fois sur le sable brûlant de la plage de la Villa Schweppes. Je reste en pantalon noir et chaussures de villes bien entendu, mais un Moscow Mule frais, sous le soleil tapant, entre 2 séances, ce n'est pas si désagréable. Tellier était là hier, d'autres s'enchaînent, Beigbeder y passe maintenant, bref, c'est la family parisienne qui se retrouve pour ne jamais arrêter la fête. Car en effet, c'est la toute première fois que la Villa Schweppes installe sa plage d'après midi. Les discussions ne s'animent qu'autour de débilité de starlettes mais comment leur en vouloir ? Je ne m'attends pas à refaire le monde à 15h en écoutant de la house-Tech. Allez, un petit tour sur le bateau Technikart jouxtant celui d'Arte pour saluer les copains et boire un coup de rosé. IAM à la Villa Schweppes en live ! La fatigue et une file d'attente interminable auront raison de moi. J'abandonne et rentre la queue entre les jambes. Car demain matin, c'est pour la projection de 8h30 que je dois me lever. Cannes est intraitable avec les journalistes.

C’est avec la tête un peu dans le c. que j'attends avec une vive impatience Good Time des frères Safdie (compétition officielle). 33 ans à peine, et les rois du cinéma branché indépendant new-yorkais gouttent pour la première fois à la sélection officielle après un tour à la Quinzaine des réalisateurs avec le très remarqué Lenny & the kids en 2009.


C’est forcément l’histoire de deux frères, l’un retardé mentalement qui ouvre le film avec une scène improbable avec un éducateur spécialisé tentant de percer les mystères de son visage glaçant au regard bovin, l’autre (Robert Pattinson) ultra violent et complètement paumé. Ils passent à l’action, un braquage en discrétion réalisé à l’aide d’un crayon et d’un papier. Ils veulent se casser à la ferme, et construire leur vie loin de New-York. Mais lorsqu’ils se croient hors de danger, les billets verts protégés explosent dans un nuage de fumée rouge. Ben Safdie, l’un des réalisateurs qui joue également le frère retardé, se fait choper par les flics dans une course poursuite dans les bas fonds new-yorkais. Son frère va alors s’engager dans les prochaines 24 heures à le faire libérer, mais c’est face à une descente progressive et implacable vers l’enfer qu’il se dirige. De mauvaises rencontres à une histoire de dope, c’est dans une intensité folle et une ambiance sonore métallique que Pattison va se heurter à son propre échec, lui finissant par prendre ce même regard bovin que son frère en fin de film, à l’agonie. Je ne vois pas comment le prix de la mise en scène pourrait leurs échapper, tant le travail sur le jeu de poursuite est fabuleux, et ce grain photographique sale et meurtri par la déliquescence d’une société new-yorkaine sous terraine appuie ce tourbillon de détresse. Pattinson est formidable, brillante composition d’une génération de paumée, sans espoir ni futur, cherchant la solution par l’argent facile (braquage, drogue). On ne peut je crois que s’incliner devant ces vagues ininterrompues de scènes vivantes, violentes..

 Par Pierig Leray