Chronique cannoise #5 : champignons tueurs, néonazis et palmarès

undefined 27 mai 2017 undefined 00h00

La Rédac'

Très attendu par ceux qui croient encore en elle, et ce malgré ses dernières productions douteuses et d’une vacuité totale (Somewhere), on attaque Les proies de Sofia Coppola (sélection officielle). Je pars l’esprit neuf, à vide, car je n’ai ni lu le livre de Thomas Cullinan, ni vu le film de Don Siegel. Et à lire mes confrères, je crois qu’il en est mieux ainsi, cela pourrait rendre ma critique encore plus acide.


Lors de la guerre de Sécession, un soldat ennemi s’est échappé du champ de bataille et se retrouve seul, à l’agonie, au pied d’un arbre. Il est secouru par une jeune fille qui l’amène dans son internat de sept femmes. La très longue première partie installe la séduction, le charme souvent maladroit qui s’immisce entre les prétendantes (Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning) et le prétendant (Colin Farrell). C’est la partie la plus délicate, clairement la mieux scénarisée, et avec une photographie irréprochable, les lumières naturelles transpercent un paysage arborisé de racines et de longues branches vivantes. Puis tout s’accélère, et le film finit alors en queue de poisson dans une fin bâclée, détruisant alors le si peu d’émotions créées par la première partie. Le pauvre Colonel doit être amputé à cause d’une crise de jalousie du personnage de Kristen Dunst le poussant dans les escaliers. Colin Farrell se persuade d’un crime de jalousie, pète un plomb, commencer à casser les couilles de tout le monde, lui-même parlant de leçon de « castration ». Un empoisonnement champignolesque, une belle dernière scène finale pour soigner la conclusion, et on remballe. Le problème principal du film, c’est qu’il est d’un vide gênant, et on ne peut se replier sur la fameuse excuse « oui mais regarde comme elle filme bien le vide » qu’on me sortait à chacun de ces films depuis un Lost in Translation réussi. Non malheureusement, malgré encore une fois une esthétique remarquable, Les belles proies et leurs courbures sublimes se meurent peu à peu, noyées dans un torrent de superficialité sans fond. Résonne alors Le jour d’après de Sang-soo, qui en trois discussions de bourrés arrivent à expliquer bien plus sur la condition humaine que Coppola et la beauté de ses images. Certains parleront de déception, je parle tant qu’à moi de confirmation.


À la sortie du Coppola, avec forcément le ventre vide, il faut bouffer. Et fallait que je tombe dans un resto de cocké qui te prépare une entrecôte à 30 euros en 5 minutes, trop cuite et sèche comme une mycose aride. Sans compter sur deux pouffes genevoises collées à ma table, déblatérant sur les poils des hommes. Tout un programme. Vite, l'addition. On retrouve l'un des plus jolis lieux éphémères du festival, A.M.E, dans un cadre végétal et isolé de la furia rue d'Antibes. On croise avec délectations deux-trois regards de rencontres nocturnes, sans être totalement persuadé de la véracité de nos souvenirs. Un petit tour au Silencio où l'on croise d'abord Vincent Lindon - sans barbe - et son équipe, puis venant le rejoindre l'ami Thierry Frémaux. Et sans attendre c'est un débat sur la sélection officielle qui s'amorce avec nos voisins de gin tonic. La conclusion est commune, un cru 2017 plutôt mou, avec quelques erreurs de casting. Bref, cette dernière nuit cannoise se termine un peu honteusement dans un Subway rue de la gare à 2h du matin, le ventre encore attristé par cette entrecôte.

Après la dernière nuit, la dernière montée des marches au grand théâtre Lumière pour découvrir In the Fade de Fatih Akin (sélection officielle). Malgré il est vrai un message final douteux et qui porte à la polémique, Akin revient très fort avec ce drame arrache-viscère qui ne peut laisser indifférent. Katja, jouée par une fabuleuse Diane Kruger, se marie avec un allemand d’origine turque Nuri venant de passer quatre ans en prison pour trafic de drogues. Rangé, Nuri monte une boite dans le quartier turc de Berlin. Une bombe explose juste en face et entraine la mort brutale de Nuri et de leur enfant, Rocco, déposé quelques minutes avant par Katja. Le film vient se découper en trois parties. La première tourne autour du deuil, avec une immense performance de Diane Kruger. On ressent toute la détresse, l’incompréhension, la haine qui s’immisce à l’intérieur d’une famille qui se déchire. La seconde partie est le temps de la justice, l’enquête avance et les deux responsables sont attrapés, des néo-nazis appartement à un groupuscule de fascistes ayant pour seul but de faire exploser de l’étranger. On passe de longues minutes passionnantes au sein du tribunal, dans un jeu rhétorique violent où l’on voit très bien la prise de force de l’avocat des accusés, trouvant des ressorts à vomir pour tenter de disculper ses clients. Et le côté très manichéen du film surgit avec d’un côté l’avocat à la tête de SS et les deux nazis, de l’autre l’avocat turque qui peine à s’en sortir. Et le jugement tombe, les accusés sont disculpés. Akin, et c’est bien là toute la tourmente, arrive à nous créer une telle haine de l’autre, une envie presque meurtrière de résoudre cette putain d’injustice lorsque l’on voit sourire et s’esclaffer les nazis qui ont tué mari et enfant. Et ce sentiment malsain ne nous quitte pas. Pire, Akin en fait une troisième partie autour de la vengeance où Diane Kruger retrouve les traces des nazis en Grèce. Elle prépare une bombe similaire. Avec des clous, pour perforer ses cibles. S’en suit alors une réflexion, un combat intérieur. Katja installe sa bombe comme un kamikaze autour d’elle et va se faire sauter avec les deux meurtriers. Loin de moi l’idée de dénoncer un appel au terrorisme de Akin, mais rien ne peut justifier un tel acte de haine, même envers la pire des saloperies. Pour être honnête, en sortant du film, j’étais bouleversé, encore en larmes, et persuadé d’avoir vu une grande œuvre, marquante. Je le pense toujours. Mais lorsque la réflexion s’installe, on ne peut passer outre un message déviant, presque dangereux, qui tenterait d’expliquer qu’un meurtre, et d’autant plus avec une bombe dans le contexte actuel, serait justifiable. C’est si fort, si puissant, les larmes coulent et la performance de Diane Kruger mérite un prix. Mais doit-on passer outre ces dérapages du cinéaste qui dérangent et questionnent ? Allez, vous avez 4 heures !

Se conclut ainsi le 70e festival de Cannes, dans une ambiance un peu morose, mais un soulagement de s’en être sorti encore vivant. Et pour conclure, je vous livre ici mon palmarès 2017.

Palme d'or : 120 battements par minute, de Robin Campillo
Grand prix du jury : Le jour d'après de Hong Sang-soo
Prix du jury : Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos
Prix d'interprétation masculine : Robert Pattinson dans Good Time
Prix d'interprétation féminine : Diane Kruger dans In the Fade
Prix du scénario : The Square de Ruben Ostlund 
Prix de la mise en scène : Good Time des frères Safdie


Par Pierig Leray