[A lire] Paris Saint-Denis, promenade dionysienne nocturne

undefined 13 janvier 2020 undefined 15h53

Manon Merrien-Joly

A tous les insomniaques, à ceux qui refusent de se coucher, ceux qui sont écartelés entre leur flemme et leurs névroses une fois la nuit tombée et les déceptions alors qu’ils s’attendaient déjà pas à grand-chose. Paris Saint-Denis suit ce genre de types, en attendant qu’il se passe quelque chose pour de bon. 

Ca commence comme la journée d’un.e parisien.ne classique : un appart’ trop petit, un problème de salle de bains. Paul et sa copine, Carine, prennent la décision de quitter leur appartement. Sur le papier. Dans la pratique, c’est complètement différent, entre les galères de dossiers de cet éternel étudiant en psycho et leurs attentes supposément au-dessus de ce qu’ils peuvent réellement s’offrir. Alors au bout d’une longue attente ils « s’offrent » Saint-Denis, souvent présentée comme l’une des villes les plus dangereuses de France. Un bout d’histoire, beaucoup de promenades, un benchmark des kebabs du quartier, des déambulations alcoolisées entre deux représentations bénévoles « de nouveaux concerts, une séance d’enregistrement. J’enregistre, je prépare les concerts, je joue, je jouis, on m’admire, on m’aime. Cette fois je touche au but et c’est la bonne. »

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Les frontières entre le héros et l’auteur sont impalpables : dans le roman, Paul, en deuxième année de Master de Philo essaie laborieusement de terminer son mémoire. Il anime chaque année un stand de vin au salon du Chocolat pour gagner trois sous. Il s’agrippe à son désir d’être artiste, joue de temps à autre dans des pièces de théâtre et des concerts qui ne lui rapportent la plupart du temps pas plus qu’un verre gratuit. Dans la vraie vie, Paul Besson, lui, s’est essayé à toutes sortes de métiers : après des études de philosophie (lui aussi), il est serveur, vendeur de cigarettes électroniques, distributeur de prospectus ou animateur dans les supermarchés. Au cours de la lecture, on a un peu l’impression de lire un article Vice : quelques anecdotes un peu marrantes, le ton froid et détaché du mec qui s’en fout.

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D’analepses conjugales en potes d’un soir, Paul se fait sauver la vie par un dealer de crack, se pose des questions sur son couple, opère une analyse du système de classes par la comparaison de l’apparence des pigeons entre le parc du Luxembourg et de Saint-Denis, flippe de « devenir clochard » mais est vite rattrapé par son capital social : « Au fond, je peux faire n’importe quoi, aller me balader dans les pires cités de Saint-Denis, avoir un compte en banque en déficit permanent, je reste un riche chez les pauvres, un petit bourgeois chez les prolos ».

Un roman parfait pour le train, à lire d’une traite, sans jamais s’arrêter de peur de décrocher à jamais. Le format est adapté à nos yeux blasés qui, plutôt que de faire danser les lignes seraient tentés de les faire valdinguer encore et encore pour aller plus vite, en absorber plus de ce parcours qui n’a ni début ni fin. 

Paris-Saint-Denis de Paul Besson
Editions J.C. Lattès, 18€