Microaventure : Passer une nuit au brame du cerf

undefined 21 septembre 2018 undefined 07h35

Sarah Leris

Pour la rentrée, le Bonbon s'associe avec Chilowé pour vous faire découvrir le fantastique univers de ces dealers de micro-aventures. Quésaco ? la grande aventure à deux pas de Paris. Pour vous prouver que c'est possible, on vous invite à nous retrouver chaque week-end de septembre pour vivre une expérience originale à deux pas de Paris. On continue cette semaine avec une escapade en forêt, une nuit au brame du cerf !

Mi-octobre en Sologne, quelque part au milieu de la forêt. La nuit est complètement tombée, je ne vois pas grand chose à plus de 10 mètres. Nous progressons en silence depuis presque 3 heures.

Sur le dos de Jérémie qui marche devant, un sac trois fois plus lourd que le mien. Il avance tout droit à travers les fougères et les fossés, en suivant le petit GPS suspendu autour de son cou.

On chuchote, on écoute. Régulièrement, un cri guttural, venu tout droit de Jurassic Park. Un mélange de l’idée que je me fais du vélociraptor qui crie « Famine ! » et du diplodocus en rut. J’ai du mal à réaliser que j’étais encore à Paris en début d’après-midi.

Tout à coup, Jérémie se fige et pousse un drôle de cri vers l’obscurité. On entend immédiatement une petite troupe qui détale dans la forêt, suivie d’un galop plus lourd.

En une seconde, j’imagine l’énorme sanglier qui va m’encastrer dans le gros chêne juste derrière nous.

Mais le galop s’éloigne, et Jérémie se tourne vers moi. Quelques étoiles éclairent un sourire surmonté d’une fine moustache blonde. “T’as eu les jetons hein ? Si je n’avais pas imité le cri d’alarme de la laie à ses marcassins, on débarquait en plein milieu du groupe et là, ça sentait mauvais pour nous”.

Avec sa tête d’ange, je l’imaginerais bien faire du gringue à une jolie brune sur une terrasse parisienne, après une journée de travail dans de beaux bureaux du VIIIème arrondissement.

Sauf que ce type là est un extraterrestre et que son travail ressemble à ça :

Quant à son bureau, il est souvent aménagé comme ça :

Jérémie a 25 ans et dort seul dans la forêt depuis qu’il a 12 ans. Cette année, il a passé 150 nuits dans la nature. Quand il revient en ville, il oublie de s’arrêter aux feux rouges.

Quand on parle de repartir dans la forêt, il dit :

Son truc à lui c’est de photographier les animaux qui vivent dans le tout blanc : son travail-passion l’emmène plusieurs fois par an dans les hivers du Nord de la Scandinavie, occasionnellement au Yukon ou au Japon.

Il part alors pendant des jours par -35°C à travers l’immensité glacée, en tirant une pulka chargée de ce qu’il lui faut pour travailler et (sur)vivre : matériel photo, sac de couchage et tente, tubes de lait concentré, pâtes chinoises, bananes séchées. Sans oublier le réchaud pour faire fondre la glace qui servira à cuire sa tambouille.

« Pas d’itinéraire ni de programme sinon celui de skier le plus loin possible sur ces hauts plateaux sauvages. Loin, jusque là où l’homme ne va pas »

Qui fait ça ?! Est-ce qu’on n’aurait pas trouvé le roi des idées à la con ?

On continue à marcher, en écoutant ici un cerf qui racle ses bois contre un gros arbre et là une biche qui aboie quand elle sent notre présence dans le noir. À nouveau un sanglier qui détale juste devant nous.

Je préfère ne pas m’imaginer seul dans cet angoissant désert d’obscurité. Je crois que je me roulerais en boule dans un fossé en appelant ma maman et que j’attendrais que la lumière revienne.

Il est minuit et demi, on s’arrête enfin au bord d’un lac asséché. On avale rapidement un casse-croûte avant de nous faxer dans nos bivvy bags, des sortes de sarcophages imperméables qui protègent nos duvets de l’humidité.

Au dessus de nos têtes, le 400 mm sur son trépied est prêt à capturer des bestioles dans la brume et la lumière de l’aube.

Le lendemain, pas de cerf dans le téléobjectif. On remballe et on marche en direction des brames qu’on entend quelques centaines de mètres plus loin. Le jour se lève, la lumière est magnifique et Jérémie s’est pété une dent sur son trépied.

Dans les heures qui suivent, nous croisons la route d’absolument toute la famille de Bambi. Le brame profond et rauque des anciens (8 à 12 ans) aux bois majestueux, le combat entre les plus jeunes, les biches qui se baladent tranquillement au milieu de toute cette testostérone.

J’en ai la larme à l’oeil dans mes jumelles.

Le temps n’a aucune importance, il disparaît absolument. Nous sommes totalement dans l’instant, tous nos sens en éveil, sans penser à autre chose qu’à ce que nous sommes en train de vivre.

C’est ce sentiment que Jérémie vient chercher dans la nature, souvent loin des copains.

Pendant que nous tentons de libérer du temps et de l’attention en désactivant quelques-unes des notifications de nos téléphones, son quotidien est uniquement contraint par la présence des animaux et les conditions de luminosité.

Quand il me propose de rester un jour de plus dans la forêt, j’ai presque honte de lui répondre que j’ai des rendez-vous à Paris dans la journée.

Crédit photos Jérémie Villet / Texte par Thibaut Labey pour Chilowé