SZIGET 2016 : on y était et on vous raconte, jour par jour

undefined 22 août 2016 undefined 00h00

La Rédac'

Cette année encore, le plus grand festival open air d’Europe a pris possession de l’île hongroise d’Obudai, au cœur de Budapest, et battu des records de fréquentation en talonnant le demi-million de visiteurs. En dépit d’un line-up grand public – Muse, Sia, Die Antwoord –, le Sziget a de nouveau surpris les non-initiés par son éclectisme peu commun. Voici les détails du cru 2016.

« Pas de Sziget sans orage », racontent les anciens. Et pour cause. En 2015, le lauréat du "Meilleur festival européen" s’était clôturé sous les éclairs et les pieds dans la boue ; cette année, il aura connu le même sort pour son premier jour. Pourtant, ni la pluie, ni la boue n’ont arrêté les 496 000 festivaliers (contre 441 000 l’an passé) venus battre un nouveau record de fréquentation du 10 au 16 août 2016 - Hongrois, Hollandais, Anglais et Français étant les plus nombreux. Lovée entre les rives de Buda et Pest, au cœur de la capitale de la Hongrie, l’île d’Obudai accueille chaque année durant sept jours l’un des plus grands événements musicaux d’Europe ; si le line-up devient toujours plus mainstream – en atteste la venue de Muse, Rihanna, Sia ou des Chemical Brothers – et s’éloigne des programmations rock et métal qui l’animaient en 1993, le Sziget, plus propre et mieux organisé que beaucoup de festivals européens, attire ses visiteurs pour pléthore d’autres raisons. On vous les raconte.

MERCREDI, JOUR 1

Certains briscards préfèrent arriver la veille. Ceux de 2016 auront passé leur soirée du 9 août les pieds dans l’eau. Ce mardi-là et le jour qui suit, la pluie creuse les premières rigoles boueuses entre les tentes et, bien que certains se lancent pieds nus, elle freine les plus frileux venus sans paire de bottes. Qu’importe, pour nous, c’est le guerrier Carmina Burana joué en introduction du concert de Die Antwoord qui sonne le cor de l’ouverture du Sziget, et tant pis si le mojito boit l’eau (on a quand même trouvé une solution).

Pour éviter un cocktail aqueux, facile : rabattre un morceau d’imperméable jetable sur le gobelet, avec un trou pour la paille.

Ninja (Die Antwoord) s’est offert plusieurs bains de foule bien glissants (@RockstarPhotographers)

Offensive, belliqueuse et perchée, la performance du duo sud-africain de rap trash s’impose très vite comme le concert le plus cool du festival. Comme si la Japan Expo et un donjon SM avaient fusionné, les Pitbull Terrier, Baby’s On Fire et costumes transgenres s’enchaînent et permettent à Ninja et Yolandi de prouver qu’ils sont aussi bon acteurs sur scène qu’à l’écran (Chappie). Oublié le vent glacial, la foule scande déjà avec eux Fuck Your Rules, comme un pied-de-nez au gouvernement hyper-conservateur du pays qu’ils sont en train de fouler. Derrière eux, les Chemical Brothers prolongent cette soirée martiale en enchainant leurs classiques avant que Block Rockin’ Beats ne clôture les effusions de la Main Stage à 23h. Mais la soirée n’est pas finie, il reste 76 hectares d’île à arpenter… et puis un festivalier nous glisse qu’il y a un hommage à Bowie sous le chapiteau LGBT du Magic Mirror ! On en profite pour décerner une mention TB à l’accompagnateur qui, moins d’une heure après son arrivée au Sziget, a perdu le listing des gens de son bus (ces derniers se sont depuis largement vengés sur sa tente, Arnaud on pense à toi).

Probables victimes d’un stand de coiffure et maquillage tout proche (@RockstarPhotographers)

JEUDI, JOUR 2

Ce mercredi-là, on déniche le meilleur spot culinaire du festival : une baraque italienne qui ne paie pas de mine mais cuisine des orecchiette et ravioles fourrées au speck et à la straciatella. De quoi nous requinquer pour les live énergisants de Parov Stelar, mené par la chanteuse Cleo Panther et de nombreux cuivres (les shows, toutefois, effacent le jazz au profit de l’électro, au fil des ans) et MØ, jeune protégée de Diplo au style athlétique et presque anti-girly dont le tube Lean On a galvanisé la scène de l’A38, noire de monde. En voyant des dizaines de filles, aux cheveux tressés comme leur idole, se faire ramener manu militari par les agents à l’extérieur après avoir escaladé les grilles, on se serait presque cru à un concert des Beatles.

La Main Stage, quasi-effrayante vue d’en haut (@RockstarPhotographers)

Malheureusement, c’est Rihanna qui, ce jeudi-là, nous déçoit le plus. L’affluence monstre prouve que la Barbadienne était l’artiste la plus attendue de la semaine, au point qu’à côté, un Châtelet-les-Halles un samedi à 19h est une promenade de santé. Après 30 minutes de retard pendant lesquelles les huées s’accumulent, Riri arrive, nonchalante, sur la ballade Stay avant de dévoiler sa nouvelle teinture bronde, des cuissardes lacées et un corset aguicheur. Sans le savoir, on a déjà vu le meilleur. Après un début passablement ennuyeux, la chanteuse enchaine ses classiques, de Pour It Up à Bitch Better Have My Money. Mais attention ! Chaque chanson ne dure que 50 secondes environ, le temps d’un couplet et d’un refrain. Bah oui, elle nous a déjà fait le cadeau de venir. Durant ce best-of compressé et expéditif, miné par un playback grossier, Rihanna disparaît mystérieusement 6 ou 7 fois pendant plusieurs minutes, sans même changer de tenue. Son seul point fort ? Avoir rempli le contrat avec un peu de danse.

Rihanna, un peu trop consciente de son statut de tête d’affiche (@RockstarPhotographers)

Contrariés, on laisse nos jambes nous guider jusqu’à la scène blues – surprise générale de la soirée ! – où dansent une dizaine de personnes. Derrière un patronyme à rallonge (Raphael Wressnig & the soul gift band) se cache un quatuor résolument dingue, l’un des meilleurs pianistes blues que l’on ait vus de notre vie et un chanteur qui aurait fait pâlir Joe Cocker de jalousie. 30 minutes plus tard, on se retourne : la salle est comble.

VENDREDI, JOUR 3

Visiter Budapest et faire le Sziget en parallèle, c’est possible. On l’a fait. Pas plus d’un quartier par jour, sinon vous pouvez creuser votre propre tombe. A ne pas louper au pays des Magyars : le Parlement, le Château Royal, les thermes (Gellért ou Széchenyi par exemple) et les ruin bars ou "kerts" pour une soirée qui envoie du bois. Quant aux 300 marches qui mènent à la Citadelle, il s’agit du Saint Graal réservé aux plus endurants. Mais le jeu en vaut clairement la chandelle. Placée sous le signe de l’exercice physique, on continue la journée avec la Sport Zone du Sziget, murs d’escalade et saut de 8 mètres de haut à la clé, et à l’Ability Park, où l’on s’impose différents sports tels que le vivent réellement les personnes handicapées. Pour le saut à l’élastique, on attendra d’avoir le courage.

Beach-volley, foot dans des bulles… La Sport Zone du Sziget rafraîchit ! (@RockstarPhotographers)

Aux antipodes de Rihanna, la Toulousaine Jain relève la barre l’après-midi, seule sur scène pour motiver son public. Autonome et armée d’un clavier, d'un ukulélé baryton et d’un sampler, la chanteuse distinguée aux dernières Victoires de la Musique déroule son unique album Zanaka avec énergie, sample les voix du public sur Come et dévoile son nouveau single Paris : les épaules solides, on vous dit. Par la suite, il nous faut enchainer les shots de palinka (eau-de- vie hongroise qui fait tomber les débutants comme des mouches) pour tenir durant les concerts survoltés de Manu Chao, Ska Pécs (un tribute hongrois de Ska-P) et le balkanique Goran Bregović. Notre corps crie déjà souffrance.

Le calme de la World Music Stage, avant la tempête du Serbe Goran Bregović (@RockstarPhotographers)

SAMEDI, JOUR 4

Malheur : le voisin de tente a perdu sa "trousse licorne" durant la nuit. Et ce ne sont pas des bonbons qu’il y cachait. Impuissants devant sa perte, et incapables de suivre un autre voisin mal en point au cours quotidien de yoga du Sziget, nous optons pour la Art Zone, terrain de verdure où les artistes urbains ont le champ libre et, s’ils n’utilisent pas le décor, rapatrient leurs coups de pinceaux fluos sur votre corps.

Elle s’est fait avoir comme une bleue (@RockstarPhotographers)

Dans la foulée, nous découvrons la scène Europe, où le jeune groupe français We Are Match, favori de Radio Nova pour son tube Violet dans lequel on plaçait beaucoup d’espoir, délivre une performance molle et hasardeuse, manquant de vitalité et d’organisation. On enchaîne ce concert titubant et embarrassant avec Soviet Party, mené par le chanteur de Java et définitivement l’un des meilleurs groupes tricolores de ce festival. En témoignent les surnoms de ce trio franchouillard, parodique et festif qui imagine ce qu’aurait été la musique si l’URSS avait gagné la guerre froide : John Lenine, Sylvester Staline et DJ Croute Chef. Leur devise ? "SEXE, ACCORDEON ET VODKA !". Les Islandais de Sigur Rós et les Goliath du rock Muse complètent le meilleur de cette cuvée 2016 : avec son chanteur qui nous évoque Thom Yorke, le premier transforme la Main stage en cathédrale ouverte et hypnotisante avant que les Britanniques n’enflamment la même scène à coup de tubes agressifs et monumentaux, appuyés par des reprises de Back In Black d’AC/DC et L’homme à l’harmonica d’Ennio Morricone. A l’inverse d’une certaine star du RnB, le charismatique Matthew Bellamy nous fait l’immense plaisir de jouer les morceaux en entier.

Inépuisable et élégant, Bellamy a fait le taf (@RockstarPhotographers)

DIMANCHE, JOUR 5, 11h30

On profite de la conférence de presse pour interroger les représentants français sur un éventuel retour de la Metal Stage : « peu probable », nous informent-ils, « puisque c’est en grande partie le public qui vote pour les artistes » et que l’électro reste le maître-mot. Damn. La moyenne d’âge des Français du Sziget se situant dans les 18-24 ans, on comprend mieux. Cette fois-ci, on a vraiment trouvé un truc pour ceux qui couveraient un petit xylostome. Si le punk-rock canadien de Sum41, qui fédère son public à coups de circle pits, vous travaille trop l’hypophyse, il suffit de se reposer, 200 mètres plus loin, devant Marcel et ses drôles de femmes, courte prestation (frenchie !) de cirque en plein air qui laisse sans voix. Pour parfaire le tout, direction la scène Fidelio vers 20h où s’entremêlent jazz et classique. Dans un mélange subtil de stand-up et de cours pédagogique, un chef d’orchestre hongrois vous apprend à diriger son parterre de musiciens. On a craqué, on est monté sur scène juste après un enfant de 7 ans (les enfants en bas âge, ce n’est pas ça qui manque au Sziget !). Et faire jouer l’introduction de La flûte enchantée de Mozart au Armel Orchestra, ça a de la gueule.

Le Colosseum, phare électro du Nord de l’île (@RockstarPhotographers)

On troque ensuite David Guetta (et son mix un peu foutraque qui plaît essentiellement sous MD) contre un très bon Rachid Taha, moins ivre qu’à l’accoutumée, avant de terminer sur Bloc Party. Mais c’était sans compter les déviations de parcours : un quatuor d’Italiens en fait des caisses pour que l’on se rende à la Telekom Arena, repaire house de l’île hongroise qui a signé son grand retour en 2015. Comme ce n’est pas trop notre tasse de palinka, on lui préfère le Colosseum, une scène en bois à ciel ouvert et tête de loup ("King in the North !") sur laquelle se succèdent les Dj's les plus populaires. On a trouvé notre antre nocturne.

LUNDI, JOUR 6

Il ne manque plus qu’une Khaleesi (@RockstarPhotographers)

Sous un soleil budapestois qui avoisine les 30 degrés et pendant que des dragons de 10 mètres de long intriguent les Szitizens dans les avenues du festival, un quatuor de Parisiens tout de blanc vêtus vient faire de l’ombre à La Femme : Las Aves. Leur hit N.E.M traduit savamment l’univers lunaire, psychédélique et rock de leur unique album Die In Shanghai. Avant que la Color Party ne noie la foule sous ses poussières polychromes devant la Main Stage aux allures de Campino géant, c’est le rock de Kaiser Chiefs qui stimule le plus le public. De sa voix éraillée, le chanteur, en sueur, sollicite les fans, grimpe parmi eux, court chevaucher les poteaux de la régie, excite les circle pits en hurlant « I predict a riot » et décline Pinball Wizard des Who en hymne un peu cradingue. Tout ce qu’on aime.

NB pour la Color Party : retenir sa respiration (@RockstarPhotographers)

Sia, en revanche, divise. La chanteuse australienne a tout misé, d’une part, sur une scénographie portée par la jeune star Maddie Ziegler et une dizaine de danseurs déguisés en Sia et d’autre part, sur des vidéos préenregistrées diffusées sur écran géant où dansent, entre autres, les brillants acteurs Paul Dano (There Will be Blood, Little Miss Sunshine) et Kristen Wiig (Seul sur Mars). Entre Chandelier et Cheap Thrills, elle entonne un sublime Diamond, tube dont elle est l’auteure. Certains déplorent l’impassibilité de Sia, cachée sous sa frange bicolore, et la durée trop courte (à peine plus d’1h) d’un show qui ne dévoile pas les mêmes tricks transformistes qu’à l’écran. Nous, on a adoré. Et la foule y a mis du sien : plus fort que le drapeau breton, un drapeau des Pyrénées-Orientales s’y est même invité.

MARDI, JOUR 7

Les alcôves chamarrées du Luminarium, venu de Notthingham (@RockstarPhotographers)

Nos pieds supplient que l’on fasse un break, notre tête bourdonne et les indiens-kinés de l’Apéro Camping ne savent plus où donner de la tête : c’est donc l’occasion d’aller au Luminarium, sorte de château gonflable aux reflets multicolores où de nombreux festivaliers viennent cuver leurs remontées d’acides. Alors que sonne l’heure d’enchaîner, il faut reconnaître que Les Hurlements d’Léo sentent un peu plus la sueur, avec leurs hommages à Mano Solo, que The Last Shadow Puppets, tout de même portés par le talent du chanteur des Arctic Monkeys. Tandis que le swing des moustachus Deluxe remplit de monde la scène Europe, les feux d’artifice et la fumée du show final retentissent et prennent d’assaut un ciel d’encre. Le Dj néerlandais Hardwell tient le rythme ; nous, un peu moins.

Hardwell, tout feu, tout flammes le dernier jour (@RockstarPhotographers)

Comme pour sonner l’heure de fin, les gouttes de pluie chutent à nouveau sur les milliers de toiles de tentes. Nous, on se dit que pour la deuxième année de suite, on assiste au seul festival où il est à la fois possible de diriger un orchestre symphonique, escalader des murs à l’aveuglette, aller au cinéma, assister à une conférence tedEX sur la Corée du Nord, plonger dans le vide depuis 8 mètres, se baigner dans le Danube (hormis cette année, car l’eau avait monté), faire un tournoi de "League of Legends" ou encore sauter à l’élastique à 150 mètres d’un concert de Muse. Et on ne raterait un tel panorama d’attractions pour rien au monde.

Texte : Anne Donadini