Un couteau dans le cœur, le manifeste esthétique de Yann Gonzalez

undefined 2 juillet 2018 undefined 11h02

Louis Haeffner

Russie-Espagne, c'était le huitième de finale le plus chiant du monde. Du coup, en plein milieu, à la mi-temps quoi, j'ai décidé d'aller au ciné voir le deuxième long métrage de Yann Gonzalez, malgré le grand scepticisme dans lequel m'avait plongé la bande-annonce, et la voix de gamine alcoolique de Vanessa Paradis. 


Ça commence très fort ; la séquence d'introduction est tout bonnement sublime. Plus que la mise en scène parfaitement stylisée d'un assassinat nocturne et mystérieux, elle donne à voir de claires indications quant au genre du film, et pose immédiatement les bases d'un parti-pris esthétique pour le moins passionnant : ce sera un thriller à tendance slasher, à l'ambiance sombre et sensuelle. Car ce dont il est effectivement question avec Un couteau dans le cœur, c'est de porno gay, de meurtres et d'amour, le tout à l'été de la dernière dans années 70. 

Un couteau dans le cœur film critique

Le grain de l'image si typique du cinéma porno des 70-80's (pour ceux qui connaissent, et on sait que vous êtes nombreux), la kitscherie ultime et totalement assumée des scénarios, des décors et des costumes des films de la productrice incarnée par Vanessa Paradis – elle-même totalement alcoolique et déphasée –, la jeunesse et l'insouciance de ses acteurs, l'insidieux rapprochement fait entre sexe et mort... tout ça fait baigner la première partie du film dans une sorte de dangereuse sensualité, dont l'étrangeté est encore renforcée par la sexualité exacerbée des personnages, tous homosexuels. Yann Gonzalez s'amuse visiblement à choquer le spectateur par une sorte d'exagération constante, tant dans la mise en scène et la littérarité des dialogues que dans le dessin de ses personnages, et ça fonctionne à merveille. 

Un couteau dans le cœur film critique

Mais alors qu'on commence tout doucement à s'habituer à cette atmosphère si spécifique, un deuxième film commence. Lancée sur les traces du tueur, Anne collecte les indices dans ses songes éthyliques, faits d'apparitions fantomatiques et de voils de fumée, guidée par un instinct qui sent fort le mélange du whisky et des souvenirs. Des bars et cabarets de la capitale à un petit cimetière perdu dans une forêt de conte de fée, elle évolue dans une atmosphère onirique, à la limite du fantastique, dont les couleurs passées et l'aspect rustique se mettent en parfaite opposition aux néons flashy de la nuit parisienne. Le paradoxe fonctionne à plein tube, les deux parties du film se répondent parfaitement, créant une sorte de diptyque esthétique sublimé par une photographie de toute beauté. 


On ne peut qu'être ébloui par l'inventivité dont fait preuve Yann Gonzalez avec Un couteau dans le cœur, tant au niveau visuel que narratif. En signant là une œuvre extrêmement sensible et esthétique, il affirme un peu plus un style bien personnel, et justifie amplement son Prix de la mise en scène cannois.