Tourner un film avec son téléphone c'est possible, nous raconte un jeune réalisateur avec Le Peintre

undefined 9 février 2021 undefined 18h45

La Rédac'

Tourner un film avec un iPhone ? C’est possible, nous répond Jean-Baptiste Braud, réalisateur et producteur de court-métrages. Passé par la case Le Jeune Cinéma d’Apple qui collabore avec de jeunes réalisateurs sur des court-métrages d’une minute tourné avec leur précieux, il a eu pour défi de tourner Le Peintre ; l’histoire drôle et bucolique d’un jeune artisan qui va se surpasser dans son art alors qu’il n’entre pas dans les codes de ce dernier. À travers sa carrière et ses précédentes expériences, JB nous raconte comment il a vécu cette production aussi amusante que technique. Un témoignage qui devrait largement convaincre petits et grands du cinéma de se lancer dans le milieu sans trop se poser de questions.

Raconte-nous un peu ton parcours.
J'ai commencé chez Canal+, puis j'ai monté ma propre structure de production et je fais de la réalisation. Je travaille beaucoup au Japon, parce que je suis parti là-bas un jour pour faire de la photo, seul, j'ai rencontré des producteurs avec qui je me suis bien entendu et ils m'ont proposé de faire des choses ensemble. On a réalisé notamment une série qui s'appelait Paris-Tokyo, puis j'ai réalisé ma première fiction en court-métrage avec eux, In the Still Night.

 
Comment tu en es arrivé à faire un court-métrage pour Apple ?

Ils avaient vu mon court-métrage In the Still Night, qui était assez expérimental, mais avec une forme assez fraîche et libre, ce qui leur a plu – je pense. J'ai participé à l'initiative Le Jeune Cinéma et j'ai pu réaliser Le Peintre. Apple m'a toujours laissé très libre et j'ai pu faire ce que je voulais.


Pourquoi la réalisation ?

Parce que c'est une synthèse de beaucoup de choses, ça embrasse justement l'écriture, la photographie, la direction d'acteurs, la comédie, la musique… Souvent les gens sont un peu spécialisés, mais ce que je trouve intéressant dans la réalisation, c'est que tu touches à plein de sujets. Tu dois tout comprendre mais sans être expert en rien. (Rires) Mais tu travailles avec des gens fantastiques, quand t'as une idée, tu as des gens pour le faire. Tu dis : "Je verrais bien ça précisément...", et mon chef opérateur par exemple comprend, mais bouge la caméra de deux centimètres et il prend le plafond qu'on n'avait pas pris… et le plan est incroyable. Dans la réalisation, tu n'es pas tout seul, tu dois comprendre les difficultés de chacun. C'est une combinaison d'idées. Je suis assez curieux de tout – certains réalisateurs sont plus sur le jeu d'acteurs, d'autres sur l'image… Tous ces sujets m'intéressent, j'ai envie de les embrasser tous ensemble.

 
Comment t’est venue l'histoire de Le Peintre ?

Apple a proposé une idée, et ils m'ont demandé comment j'en ferais une histoire. J'aimais bien l'idée de devenir soi-même par erreur. Il y a un quiproquo, et peut-être que ce peintre fait quelque chose qu'il ne se serait jamais autorisé : une œuvre, avec ses moyens du bord, parce qu'il ne se serait peut-être jamais considéré comme un artiste. C'est un artisan, mais il n'a pas passé le cap d'artiste. Je trouve ça amusant qu'un concours de circonstances te mette dos au mur et te force à devenir qui tu dois être. C'est l'accomplissement par le hasard. Et ce hasard rend même la maîtresse de maison heureuse, puisqu'elle est satisfaite à la découverte de la peinture. J'aime bien aussi l'idée que de par sa naïveté, l'artisan ne soit dans aucun code de la peinture et suive son instinct, ce qu'on comprend quand la maîtresse de maison finit par dire "très original" : le tableau ne ressemble à rien de ce que l'on a déjà vu.

Tu t'es retrouvé dans cette histoire ?
Bien sûr, parce qu'on commence un peu toujours de cette manière. On peut être un peu psychorigide, à vouloir lire tout ce qui se fait sur le cinéma, à vouloir regarder tous les films, être hyper obsessionnel là-dessus... Mais je pense qu'être naïf et être frais sans tout savoir est un atout fort. Il y a un poids trop grand de l'apprentissage. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de règles, sinon ça devient de la peinture avec les mains. Il faut les connaître, mais il faut être original. C'est en les déconstruisant qu'on peut se libérer et faire quelque chose de singulier, qui a du sens.

 
C'était quoi le but de ce projet pour toi ?

L'objectif, c'est toujours de raconter une histoire en étant le plus sincère possible et en essayant d'intéresser. Ce que j'espère, c'est que les gens soient touchés. On ne fait pas les films pour soi, on les fait pour les autres, en espérant que ça fasse rire, que ça touche, que ça fasse réfléchir... C'est mon but sur tous les projets. Je pense que tu peux y arriver qu'en ayant une approche très sincère et honnête. Les questions que je me pose, c'est : est-ce que j'ai été clair ? Quand tu n'as qu'une minute et beaucoup de choses à raconter, est-ce qu'on va comprendre ? Si tu ne saisis pas le quiproquo, le film tombe à l'eau, par exemple. Mon but, c'est de faire un bon film. (Rires) C'était aussi de prendre le challenge d'une minute – qui est quand même monstrueux. C'est presque un haïku. Et le challenge technique de tourner avec l'iPhone. Je ne l'avais jamais fait pour un rendu final de cette taille. C'est génial. Si j'avais tourné avec une caméra Alexa, ça ne m'aurait pas autant amusé que le challenge de l'iPhone.

 
Pourquoi c'était un défi de le tourner avec un iPhone ?

D'autres l'ont fait, comme Damien Chazelle, Emmanuel Lubezki, Steven Soderbergh... Quand je les ai vus, j'ai trouvé ça incroyable. J'avais envie d'essayer. Nous, on a fait des conditions de ciné sans trop se poser de questions. On est dans un château, on fait de la lumière complexe... C'est d'ailleurs la première fois qu'une fiction a été shootée à l'iPhone 12 avec une lumière complexe. Ça n'avait pas été fait avant – à part quelques tests. On ne ment pas sur les images du making-off : on a utilisé les capteurs natifs, avec l'aide du matériel lumière.
Le défi, c'est que tu as moins de marge de manœuvre en post-production, comme pour l'ancien cinéma : si la pellicule déconne, c'est fini. C'est technique, mais ça m'amusait beaucoup de tourner à l'iPhone. Et surtout l'idée de se dire : si un jour je n'ai pas de quoi financer mes films, je pourrais toujours shooter avec et avoir une caméra à portée de main. C'est probablement ce que se disent les réalisateurs : je dois faire une image, je peux quand même la faire.

Que diraient des grands comme Hitchcock, Kubrick, la Nouvelle Vague ?
Je pense qu'ils seraient à fond sur le sujet. Ce sont des réalisateurs qui se sont toujours intéressés à la technologie, toujours à essayer de la pousser... Quand Kubrick branche une optique utilisée par la NASA pour regarder l'espace, pour pouvoir être en low-light dans Barry Lindon, c'est qu'il ne s'en fout pas. Ça l'intéresse. Il aurait aussi essayé de pousser. Et d'un autre côté, c'est aussi nouvelle vague finalement, parce que tourner avec l'iPhone c'est aussi tourner avec les moyens du bord. On s'en fout d'avoir la grue énorme, la caméra surpuissante... Si on veut faire un traveling avec un skateboard, on le fait. Eux en tout cas, ils seraient intéressés par ces nouveaux modes de fonctionnement.

 
Et les Frères Lumière ?

Ah bah, je pense qu'ils seraient ennuyés pour leur business... (Rires) Tu as quand même des atouts de taille, et le fait que l'appareil soit hyper maniable. Que tu puisses te débrouiller seul. Pour donner un exemple, important pour moi : comme j'avais une minute et qu'il faut que chaque image soit précise, mais surtout réussir à faire jouer les comédiens... Chaque mimique, chaque visage, chaque intonation sont essentielles à l'histoire. On a répété à l'iPhone dans des bureaux longtemps, on a essayé plein de choses avec, et donc j'avais en tête, à l'avance, l'angle, le jeu...

 
Quelque chose t'a surpris dans son utilisation ?

L'intérêt en prépa, comme je l'ai dit, et puis je pense que tu n'as pas le même rapport au comédien. Il y avait une comédienne qui n'était pas professionnelle, quand tu as une grosse caméra, imposante... Ça crée une sorte de mur entre le réalisateur et le comédien. Là, c'est plus discret. Ça devient presque naturel. La surprise, c'est quand même de se dire que oui, maintenant, on peut tourner une fiction avec un téléphone. J'ai senti, en tournage, une plus grande rapidité d'action sur la caméra.

Tu as des petites techniques ou conseils à donner pour quelqu’un qui veut se lancer dans la réalisation d’un film comme celui-ci ?
Prendre une caméra, appuyer sur Enregistrer... (Rires) Il ne faut pas être complexé sur le fait de ne pas être technique ou ne pas savoir. Ça peut être impressionnant. Ce qui est intéressant avec l'iPhone, tu désacralises un peu ce côté-là. Apple a toujours travaillé dans ce sens, l'ergonomie et l'intuitivité. Il ne faut donc pas s'inquiéter de la caméra, mais de ce qu'on veut raconter.


Si un jeune vidéaste propose du contenu sur les réseaux sociaux, comme Instagram, qu'est-ce que tu pourrais lui conseiller pour l'améliorer ?

Il y a des réalisateurs qui testent sur les réseaux sociaux, avec des contraintes comme le temps. Instagram et Facebook sont plein de contraintes, avec les algorithmes, les droits, la nudité... Ce qui peut-être finalement intéressant, mais il faut essayer, dans ce bac à sable, de ne pas juste répliquer l'existant. Le conseil, c'est d'être sincère dans l'approche et essayer d'être contributif. Finalement, il y a tellement de choses sur Internet, tellement de photos, tellement d'images... Ce n'est pas très intéressant de poster quelque chose que déjà mille autres personnes ont fait.

 
Comment tu te démarques du coup ?

Essayer de twister l'usage. Michel Gondry fait beaucoup ça sur Instagram. Il adore l'animation, il fait ça à sa manière en étant hors des codes classiques de la plateforme – probablement pour ça qu'il shoote à l'iPhone. Un peu comme un artisan. Il embrasse le format d'une minute, c'est sincère, c'est très différent de ce que tu peux voir ailleurs... et je trouve que c'est ça le plus important. On voit tellement de choses qui finalement se ressemblent, on se fait presque prendre par un mouvement. 

Il y a des réalisations, que tu as pu faire dans le passé, que tu regrettes aujourd’hui ou dont tu es moins fier ?
Ah non ! (Rires) Pas du tout ! Non, on peut toujours faire mieux, mais j'aime bien justement les imperfections – c'est mon côté japonais ça. Parfois, je vois quelque chose qui déconne sur une image, une petite lumière qui se voit, un aspect un peu flou... Malgré ça, j'arrive quand même à aimer l'erreur. Donc je ne la regrette pas, je l'embrasse. Je ne me dis pas qu'il faut la corriger, je me dis non mais c'est bien comme ça. La seule chose qu'on peut peut-être regretter, c'est finalement de ne pas aller au bout de ses projets.

 
Ça serait quoi ton meilleur souvenir de cinéma ?

Tourner avec des comédiens japonais qui ne parlent pas anglais. (Rires) Sur The Sound of Water, mon dernier film, la comédienne principale ne parlait pas anglais. Les techniciens non plus qui ne le parlaient pas bien... Mais il y a un tel respect et une telle compréhension dans la relation France-Japon, comme s'il y avait une culture globale du cinéma, et que tu vois que tout le monde se comprend juste par le regard, c'est impressionnant à voir. Tout le monde semble comprendre, ce qui est bon, ce qui ne l'est pas.

 
Tu vas retenter l'expérience avec l'iPhone ?

Probablement. C'est très amusant de tourner avec. Il y a un challenge qui est donné. Il faut tourner avec ce qui semble le plus naturel, par rapport à des contraintes, un chef opérateur, des suggestions... iPhone ou pas, ça dépend de l'histoire. Il faut proposer une image qui va avec ce que l'on veut raconter, ce qui est judicieux. Ne pas avoir une image pour donner juste un style qui se veut reconnaissable. Donc si c'est justifié, oui.

 
À quand le long-métrage ?

Je suis dessus.