Conversation avec Move D

undefined 8 février 2016 undefined 01h00

Simon Kinski Znaty

À l’occasion de sa dernière visite à Paris, nous avons souhaité faire un point avec Move D sur sa carrière hors-norme, puisque dans chaque domaine musical que David Moufang explore, il excelle. Le mois dernier, nous avons donc assisté à l’anniversaire de Smallville Records où encore une fois, le grand "Mufti" nous a régalés jusqu’à l’aube. Le lendemain, David a répondu à nos questions.

Ça fait un bail maintenant que tu as commencé ta très longue carrière, ça doit être différent de débuter de nos jours ?

J’ai commencé à mixer vers 1987. C’est très différent aujourd’hui. Je ne comptais pas devenir Dj, à l’époque quand on parlait de Dj, on pensait à la radio à la limite, mais pas aux clubs. À 15 ans je suis parti en Italie et ce fut la première fois que je voyais un Dj mixer des beats, des morceaux, utiliser des outils pour faire une nouvelle chanson avec plusieurs. J’avais un club dans ma ville où j’allais régulièrement avec de bons Dj's, il y avait beaucoup de soldats américains aussi. Un soir le Dj n’est pas venu, le proprio était mal, je lui ai dit que je ne l’avais jamais fait mais que j’avais longtemps regardé les gars et que je connaissais de bons morceaux. Ils m’ont laissé jouer car ils étaient désespérés. Ça m’a plu, et à l’arrivée, j’ai eu le job. Je n’avais pas de platines à la maison pour m’entrainer mais dans les années 80, ça se développait encore, il n’y avait pas besoin du savoir-faire d'aujourd’hui. Je ne jouais pas de la techno mais de la funk, du hip-hop, du disco aussi. L’endroit était ouvert 7 jours par semaine. J’ai d’abord joué une nuit, puis deux, puis trois, mais toujours pour 70 marks (5 euros). Je venais de terminer mes études, je savais que je voulais être musicien mais je voyais le mix comme un hobby amusant, un petit boulot pour me faire des sous et m’acheter à manger.

Je sais que tu as beaucoup d’attirance pour la France et sa culture, n’est-ce pas ?

Je suis moi même d’origine française, mon arrière-grand-père est né à Toulouse, mort à Moscou. Mais j'ai toujours de la famille à Paris et Dunkerque, mais tout ça remonte à des générations donc on ne m’a pas élevé avec la langue française, même si je me débrouillais mieux enfant. La culture et la musique française ont eu un grand impact sur moi. Serge Gainsbourg, Bernard Lavilliers… Il y a tant de choses que j’aime, jusqu’à la french house avec Ludovic Navarre, Laurent Garnier, Étienne de Crecy, Alex Gopher, SuperDiscount, Daft Punk, tant de culture et de tradition... La France est très importante sur la scène musicale depuis les années 90, vous devriez être fiers.

La France, la Russie, l’Allemagne, les Beatles, Ennio Morricone… Il y a beaucoup de richesse et d’éclectisme dans ta carrière, c’est ce qui en fait la qualité ?

« Peut-être ! » (prononcé en français), je ne sais pas. Certaines personnes n’aiment qu’un genre de musique. J’ai eu la chance d’être élevé avec une incroyable collection de disques appartenant à mes parents et à mon beau-père, il y avait tout, de la soul de Détroit au jazz, en passant par la musique classique, Kraftwerk, le rock et la musique psychédélique, tout. J’ai commencé à écouter de la musique quand j’avais 4 ans et je me suis intéressé à tout. J’adore la bande-son de "Un homme et une femme", de Francis Lai, ou "Les vacances de Monsieur Hulot" d'Alain Romans. J’ai toujours aimé jouer éclectique. Quand j’ai commencé, je ne jouais pas de musique électronique. Aujourd’hui je me permets plus de choses car j’ai en quelque sorte un "nom", si on me booke on sait généralement à quoi s’attendre. C’était bien plus difficile dans les années 90, c’était plus strict, pas de vocales, pas de guitare… C’est bien plus libre maintenant, notamment grâce à la génération suivante. La plupart des jeunes dans les clubs pourraient être mes enfants ou mes petits-enfants, et ils sont ouverts à différents genres musicaux.

Il y a un genre que tu affectionnes particulièrement, c’est l’ambient. Tu en produis moins ces dernières années, tu comptes t’y remettre ?

Ce que j’ai produit pour Pete Namloke, Silent Orbiter, est vraiment très dark. J’ai réalisé cet album ambient l’année dernière pour lui, un hommage, mais il faut avouer que c’est très triste et sombre. Mais tu as raison, à part ça je n’ai plus produit d’ambient depuis un moment. Je pense être prêt à recommencer, et pendant un moment il faut dire que les gens n’étaient pas prêts non plus. Ils n’étaient plus enclins à écouter des albums, ils voulaient juste télécharger une piste, une chanson sur YouTube. Mais je veux m’y remettre, oui.

Ton dernier EP avec Edward (Jus-Ed), "Brother", a mis du temps à sortir. Edward parle d’une lutte dans sa vie à cet époque, qu’elle est ta version de l’histoire ?

Oui, une lutte. Surtout pour lui. Les paroles sont très auto-biographiques, c’est son histoire, pas la mienne, mais la vie en elle-même est une lutte, c’est certain. L’EP n’a pas pris beaucoup de temps si on regarde les heures passées à travailler dessus. Nous avons passé une journée en studio il y a 4 ans et nous avions réalisé 3 pistes, elles nous ont plu mais elle n’étaient pas terminées et trois ans plus tard, nous nous retrouvons et terminons les pistes. Deux sessions, chacune d’une journée. Ce qui fut difficile, c’est de trouver le temps d’aller en studio. Dans les années 90 je pouvais vivre de mes productions, mais maintenant je dois faire beaucoup de contrats, je ne peux plus vivre de mes disques malheureusement. Avec l’arrivée de Napster, iTunes, YouTube, les gens ont arrêté de dépenser de l’argent dans la musique, c’est pour les passionnés maintenant. La majorité se contente de partager. C’est comme ça depuis les années 2000, rien de neuf.

Par contre il y a de plus en plus de Dj's. Tu joues très régulièrement "Quartier Sex" depuis un moment, le tube du jeune parisien Mad Rey (D.KO Records). Que penses-tu de la scène actuelle ?

J’ai commencé à jouer à Paris au milieu des années 90, je dirais que depuis les trois dernières années, pratiquement toutes les soirées où je suis allé étaient géniales, avec des gens sympas et de bons Dj's, comme Sonotown par exemple. Il y a beaucoup de qualité à Paris, les nouveaux Dj's comme Mad Rey jouent sur vinyle, c’est bien, mais c’est un marché difficile. Parfois on me demande des conseils pour s’en sortir en tant que Dj : il faut avoir de la chance, c’est une lutte. On peut également produire de la musique. C’est comme ça que ça s’est passé pour moi. On ne m’a pas booké car j’étais bon Dj mais parce que quelqu’un appréciait ma musique. Je n’y serais pas arrivé en étant simplement Dj. Ne pensez pas qu’il suffit d’aller dans une agence, elles ne peuvent aider que si les gens désirent vous booker. Il faut qu’il y ait une demande. Mais tout ça ne concerne que le côté monétaire. La musique n’a rien à voir avec l’argent, vous pouvez être Dj pour vos amis chez vous et c’est très important aussi, car vous éduquez vos amis en jouant de la bonne musique chez vous. Être Dj a quelque chose de glamour, mais vous pouvez aussi bien le faire dans un club et être payé que le faire chez vous gratuitement. C’est aussi important.

Il y a aussi de plus en plus de musique live, de machines, d’électronique. Comme ce projet "Magic Mountain High" avec Juju & Jordash. Vous auriez pu faire ça il y a 20 ans ?

Essentiellement, oui. C’était mon idée, j’ai dit « allons dehors pour jouer ». J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer d’aussi bons artistes. Des musiciens qui te donnent la liberté de ne pas seulement programmer des machines mais de se faire les griffes dessus. C’est mon projet préféré. Être Dj est divertissant, mais quand on le fait en conditions idéales, comme au Rex club, avec des gens sympas, ça ne demande pas beaucoup d’efforts, je peux le faire des heures et des heures sans être fatigué. Mais quand on joue en tant que Magic Mountain High, c’est beaucoup de concentration, je ne pourrais pas le faire toute la nuit, c’est très différent. J’aime le défi, quand les gens payent pour voir le Dj ils veulent être divertis, comme au cinéma. C’est mon boulot de les rendre heureux d’une certaine façon. Pour les concerts live, il faut parfois jouer dans les mêmes conditions et c’est un problème car notre boulot n’est pas de rendre les gens heureux mais de jouer la musique que nous avons conçue. Ce n’est pas toujours apprécié par le public lambda. C’est plus gratifiant, plus risqué, mais plus essentiel. Les gens ne s’y sont majoritairement pas encore mis mais je pense que nous avons un impact. Ce n’est pas assez de lancer Aberton et de jouer nos chansons.

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Est-ce que l’argent s’est fait une place trop importante dans le milieu ? Récemment tu parlais de la promotion payante sur Facebook...

C’était juste mon point de vue. Après tout, c’est un moyen génial de faire du réseau mais il faut garder en tête que c’est ce que nous produisons qui fait gagner de l’argent à Facebook, et je pense qu’ils en gagnent assez sans avoir besoin de faire payer 5 euros un jeune promoteur qui veux simplement inviter ses amis à une fête. Les gens peuvent poster des photos de leurs chats, mais quand il s’agit de promouvoir ta soirée, peu de gens le verront à moins que tu ne payes. Je pense que c’est mal. Je comprendrais qu’ils prennent de l’argent aux grosses productions, s’ils font de la pub pour une tournée par exemple, mais en ce qui concerne les soirées Underground c’est triste. Le problème de l’argent remonte à bien plus loin que la musique, que la musique contemporaine en tout cas. C’est dégueulasse. J’essaye peut-être de m’exprimer pour les autres parce que moi ça va tu sais, j’ai assez d’argent, je pourrais même payer pour la pub mais je ne veux pas, je défends ma position. Les mix Soundcloud partagés sont particulièrement mis en retrait, Facebook ne veut pas que vous quittiez Facebook, tout ce qui mène à d’autres sites reçoit moins de vues. Ils essayent peut-être de les assécher pour les racheter, je ne sais pas. J’aimerais simplement moins voir de pub pour de la merde et voir plus de posts intéressants ou de pages Soundcloud. Mais c’est comme ça que le monde est fait, un jour les gens oublieront Facebook, pas la musique, c’est un fait.

Au final, où est-ce que tu préfères jouer ?

Je suis très reconnaissant d’avoir pu visiter le monde et tous ces endroits magnifiques. Je ne serais probablement jamais aller en Sybérie sans ça. De manière général, je préfère les endroits plus intimes. Le Rex est à mon goût la capacité maximum que je pense appréciable, et tout ce qui est plus gros devient un problème car on ne voit plus les personnes comme êtres individuels, ils deviennent une sorte de grande masse. J’aime pouvoir me connecter aux gens, dans l’idéal je jouerais pour 200, 250 personnes ou moins. Je dois aussi reconnaitre que j’ai adoré jouer au Movement à D.C. Grande scène, grand festival, mais d’une certain façon le public et moi étions vraiment connectés. C’est difficile de dire quel endroit est le plus agréable mais si je devais généraliser, je dirais que le plus fun c’est de jouer en Angleterre. J’aime aussi énormément l'i-Boat à Bordeaux, ça me rappelle le nord de l’Angleterre, ce qui n’est pas très typiquement français, mais d’une certaine manière, agréable.

Un remède contre la gueule de bois ?

Ce ne serait pas légal. Mais laisse-moi répondre d’une autre manière : je déteste les gueules de bois donc je n’ai pas de gueules de bois. Je ne bois que du vin rouge, et jamais trop. Si je le mélange avec quoi que ce soit d’autre, j’ai la gueule de bois et c’est terrible. L’alcool est vraiment dangereux, j’essaye de me contrôler. Sinon, la musique aide beaucoup aussi. J’imagine que tout le monde à son remède, mais évitez les gueules de bois.

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