Masomenos - Une géographie de l'utopie

undefined 16 juillet 2015 undefined 00h00

La Rédac'

Le monde artistique est un ensemble de codes implicites auxquels ils fait bon se conformer pour pouvoir « en être ». Ainsi, tout le monde en est, et tout le monde moutonne tranquille, plus ou moins. Et puis parfois,la face lisse dans cet univers centrée sur lui-même se fissure, et c'est dans ces cavités que viennent se loger des projets aussi ovniesques et inclassables que Totem et Tabou, le 5eme album utopico-géographico-expérimental du duo house psyché Masomenos. Le temps d'une interview, on a voyagé avec Adrien et Joan, les deux responsables de cette création haut-perchée.   Au niveau graphique, musical, conceptuel, il y a un lien très fort entre votre imaginaire et l'Amérique du Sud. Pourquoi ? Adrien : Comme tout bon français qui ont été gosses pendant les années 80, on a été marqués par les Cités d'Or, et je crois qu'il ne faut pas le nier, car ça a clairement impacté notre imaginaire. Surtout les 2 minutes de documentaire à la fin, où tu voyais des mayas et des pyramides pour de vrai. Ça, ça a nourrit pas mal de rêves. Et puis, la première fois que Johanne m'a retrouvé en voyage, c'était au Mexique et au Mexique, on te donne du Masomenos en veux-tu en voilà. Masomenos, ça veut dire quoi ? Joan : ça veut dire plus ou moins. C'est une expression en Amérique du Sud qui est employée assez souvent et où on ne te garantie pas réellement la suite. Par exemple, tu commandes un coca, et si on te ramènes un fanta, c'est cool. Voilà, en gros, c'est ça. Le premier boulot qu'on a eu avec Adrien, c'était de faire la musique d'un défilé de mode, fallait qu'on trouve un nom pour signer le projet, on revenait du Mexique et ce nom-là semblait évident. L'Amérique du Sud, c'est aussi une terre d'hallucination, non ? A : Oui, c'est vrai qu'il y a là-bas toute une culture du « voyage ». Au Mexique, par exemple, il y a un forte tradition liée au Peyotl. Au Pérou, il y a une plante qui s'appelle le San Pédro, qui est également un cactus qui peut être considéré comme le grand frère du Peyotl et qui a les mêmes principes actifs. Et puis après, tu as l'Ayahuasca, qui est une liane que l'on trouve en Amazonie... J : Oui, tout cela est surtout employé comme médecine sacrée, ce n'est pas vraiment récréatif. A : Ce qui est un peu navrant, c'est que c'est devenu une mode. Maintenant, y'a des bus de touristes qui prennent ça comme s'ils faisaient de la plongée sous-marine. Ce genre d'expérience, ça vous a servi ? A : Je ne pense pas que « servi » soit le bon mot. J : Disons que ça nous a plutôt ouvert, oui, ça ouvre de nouvelles manières de regarder. Et une fois que tu as changé de focale, tu peux démultiplier les points de vues différents. Cette gymnastique-là est vraiment très riche. A : J'ai surtout retenu quelque chose de tout ça : ado, je pensais que la magie c'était de passer à travers les murs. En fait, le vrai truc magique, c'est que le mur t'arrête. Comprendre ça, ça t'empêche de te perdre dans des écrans de fumée. Restons dans la pensée magique et parlez-moi de votre projet Totem et Tabou. A : c'est donc le 5ème album de Masomenos J : Mais qui se présente sous une forme un peu différente. A : Oui, on ne va pas le sortir en une série de vinyle et un cd, comme c'était souvent le cas. Là, pour le coup, c'est un grand morceau de 70 minutes écrit autour d'un thème avec des improvisations. Tout a été joué,pas de samples, pas de collages et on a trouvé un petit code qui nous a permis d'interpréter notre musique par de la lumière. On a concrétisé tout ça par des masques comme vecteurs graphiques, auxquels il fallait un écrin : du coup, on a construit cette fameuse hutte que tu as pu expérimenter récemment. Oui, c'était bien planant d'ailleurs. J'ai l'impression que sur ce coup, vous avez voulu vous connecter à un public plus large... A : Oui, c'est important de noter que pour les 4 premiers albums, on faisait de la musique qui s'adressait principalement aux clubbers. Du coup, cette musique, on la partageait toujours dans des environnements festifs. Là, y'a réellement une volonté de pouvoir triper autant que dans un club, mais avec nos grands-mères et nos gosses.   JA_WDYM   Idéalement, vous aimeriez l'installer où, cette hutte ? A: Un parc ou un lieu public. Ça fédère les gens, ça crée une certaine immersion, un ressenti commun... Le rêve, ce serait un endroit dans la nature, ouais. J : En fait, avec cette hutte, on travaille sur le concept d'hétéropie. C'est à dire ? J : Je ne ferai pas mieux que Wikipédia pour te le définir : L'hétérotopie du grec topos, « lieu », et hétéro, « autre »: « lieu autre ») est un concept forgé par Michel Foucault dans une conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres ». Il y définit les hétérotopies comme une localisation physique de l'utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l'imaginaire, comme une cabane d'enfant ou un théâtre. Avec cette hutte qui ressemble finalement à un ventre maternel, votre univers graphique, vos références aux Mystérieuses Cités d'Or, ne situez-vous pas votre art dans une zone régressive et enfantine de l'esprit humain ? J : Oui, c'est vrai qu'on parle ce vocabulaire-là. En fait, cette fréquence « enfantine » correspond à une énergie maximum d'apprentissage. Je crois qu'il faut essayer de garder ça dans notre vie quotidienne, essayer de conserver cette énergie et cette innocence, mais avec beaucoup de sérieux. Vous qui avez une vision assez riche de la réalité, pour vous, quelle est la véritable énergie de la musique ? A : Bon, la démonstration n'est pas à faire, la musique a clairement un effet sur les gens. C'est très empirique : tu peux avoir la chair de poule, avoir peur... Y'a donc un tas d'émotions qui sont influencées par la musique. Maintenant, ce qu'on est en train de réaliser, c'est qu'au delà des émotions, notre programme, nos molécules, nos cellules, nos acides aminés eux-aussi réagissent à ces stimuli que sont le son, le rythme, etc... Là, il y a des recherches scientifiques sur quelque choses qui s'appelle les protéodies, et on s'aperçoit qu'en exposant des plantes malades à certains fréquences, on arrive à les soigner. On peut aussi rendre des plants de tomates plus robustes, etc... J : Oui, et en fait, chaque personne réagit différemment à ces protéodies. Ce sont des petites mélodies qui activent ou inhibe la synthèse de certaines protéines.   SCUBA_ATHUR   Du coup, on peut soigner ou tuer avec de la musique ? A : Exactement. Adrien, on t'a déjà dit que tu ressemblais à Villalobos ? Ça t'a jamais joué des tours ? A : Il y a quelques années, on était partis en Roumanie à un festoche voir Raresh et Arpia. On a été accueillis super gentiment par l'organisateur, qui nous a filé des bracelets. On rentre dans le truc, et là, mouvement de foule, j'ai l'impression d'être une star, je ne comprends pas ce qui arrive. Quand ça t'es jamais arrivé, c'est super étrange d'avoir 50 personnes autour de toi qui veulent te toucher. Petit à petit, je me rends compte que les gens me prennent pour Ricardo Villalobos. Je me retrouve donc avec 2000 roumains affamés qui veulent voir leur héros... Finalement, ce qui a été très amusant, c'est que lorsque Ricardo est arrivé un peu plus tard, y'avait toujours de mecs qui voulaient prendre des photos avec moi, et quand je leur montrais Ricardo sur scène, il me disait : « Mais, c'est pas grave, on fait la photo quand même, ça ira très bien... » Dans ce numéro, il y a aussi une interview de Jérome Pacman... je crois que vous le connaissez bien, c'est ça ? A : Comme je l'ai toujours dit, pour moi, Pacman c'est la quintessence de l'underground. Ce qui est drôle, c'est qu'en 25 ans, il n'a pas changé d'un iota. Vous avez des rôles bien définies dans votre couple ? J : Oui, Adrien, c'est un ballon gonflé à l'hélium et moi, je suis un petit bonbon attaché à ce ballon pour faire contre-poids. Comme ça, il ne s'envole pas trop haut, et moi, il me donne de la légèreté.