Patricia Arquette, l\'agent secret d\'Hollywood

undefined 15 février 2017 undefined 01h00

Agathe

Longtemps petite sœur de Rosanna, Patricia Arquette s’est taillé en presque trente ans de carrière un sacré prénom, à coups de collaborations avec ce qui se fait de mieux à Hollywood (Scorsese, Lynch, Burton, Boorman, Scott pour ne citer qu’eux), distançant, et de loin, sa frangine. Consacrée aux Oscars grâce à sa performance dans Boyhood (2015), actrice chouchou du petit écran (Medium, Broadwalk Empire et CSI : Cyber), la comédienne, discrète et grande gueule à la fois, s’est imposée comme une valeur sûre. De son enfance dans une communauté hippie à ses rencontres avec Lynch et Gondry sans oublier son rapport au glamour hollywoodien, Patricia met les choses au point en six étapes.

 

Bonbon Nuit : Votre grand-père, votre père, votre frère, vos sœurs sont dans l’industrie du cinéma. Mais comment grandit-on chez les Arquette ?

Patricia Arquette : C’était cool de grandir chez les Arquette. On discutait art, politique… Et ils ont tous beaucoup d’humour et un esprit très libre. J’ai grandi dans une communauté hippie, et cela m’a ouvert des horizons inattendus. Chacun devait participer à la vie de la communauté, mais seulement six personnes travaillaient dont mon père. Nous étions pauvres. Même si nous avons eu des difficultés à joindre les deux bouts, être dans la communauté n’a rien arrangé. Quand nous avons déménagé en Californie, tout a changé. Je me rappelle qu’à l’école, un garçon m’avait demandé quelle voiture nous avions et moi j’étais juste enthousiaste d’en avoir une ! Dans la communauté nous n’en avions pas, on prenait le bus, on faisait du stop pour aller à l’épicerie, cela prenait des heures. J’étais tellement heureuse que nous ayons une voiture que je ne savais même pas qu’il y avait différentes marques. J’étais un alien. Ce que je comprenais du matérialisme se résumait à la notion de besoin mais pas du tout à la classification, au fait qu’un produit puisse être plus désirable qu’un autre. Quand tu as faim, l’important est d’avoir quelque chose à manger, peu importe la marque.  

Bonbon Nuit : Vous auriez quitté le domicile parental à 16 ans, un disque des Sex Pistols sous le bras. Mais la fillette élevée dans une communauté hippie et l’adolescente fan de punk sont-elle conciliables ?

Patricia Arquette : Cette anecdote est fausse mais à 15 ans, j’arborais une crête iroquoise noire et j’étais fan des Pistols, des Clash et surtout de The Ex, j’adorais leurs textes. J’ai grandi avec le punk, la new wave. Los Angeles à cette époque était une ville très sale, dangereuse, underground. Les punks étaient moins politisés que les hippies en général mais la dynamique politique, la façon d’interroger l’autorité, de lutter contre l’establishment, se rejoignent. Les punks étaient juste un peu plus en colère que les hippies. Une part de cet esprit de rébellion m’a suivie. Même si je fais de la télévision aujourd’hui, je suis encore une fille bizarre. Je me suis toujours sentie à contre-courant, anti-conformiste. Du coup, je me sens un peu comme un agent secret à Hollywood. 

Bonbon Nuit :  Freddy 3 marque le début de votre carrière. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?

Patricia Arquette : J’étais un bébé. J’avais 18 ans, c’était juste avant que je tombe enceinte de mon fils. J’adore les films d’horreur mais celui-ci n’était pas assez flippant pour moi. Je me rappelle qu’on tournait souvent la nuit, il fallait respecter très précisément les consignes sur le plateau, on est très limité dans les possibilités de proposition sur ce type de métrages où tout est millimétré. C’est un de mes pires souvenirs artistiques. Le réalisateur me hurlait dessus dès que je proposais quelque chose. Il plaçait son visage près de la caméra et me lisait mon texte, me montrait quels gestes, quelles postures je devais adopter. Quand j’ai tourné True Romance juste après, j’étais tellement traumatisée que j’hésitais à faire part de mes idées. Et Tony Scott a été formidable. Chaque fois que je proposais quelque chose il était partant. Il m’a appris à suivre mes impulsions, à faire confiance à mon instinct. 

Bonbon Nuit : Martin Scorsese, Tim Burton, Sean Penn, Stephen Frears, John Boorman ou Tony Scott, votre tableau de chasse a de quoi impressionner. Mais un des joyaux de votre filmographie demeure Lost Highway de David Lynch. Souvenirs…

Patricia Arquette : Je ne sais pas si je comprends David mais il est gentil, doux, différent de ce qu’on peut imaginer à la vision de ses films. Il est très ouvert aux accidents sur le plateau. Il attend que l’art se révèle de lui-même, à travers des erreurs, des éléments inattendus. Dans ses films, il n’y a pas de début ou de fin. Il n’explique rien de son univers. En tant qu’acteur, souvent la relation qu’on entretient avec le réalisateur permet de trouver des pistes pour comprendre le personnage, mais pas avec David. « Suis-je deux personnes ? Un fantôme ? Qu’en penses-tu Patricia ? », voilà comment se déroulaient nos échanges. Il me laissait libre d’interpréter. Qu’on ne se méprenne pas, il est très précis dans ses directives. Je me rappelle d’une séquence où il écoutait de la musique dans une oreille et il cherchait la bonne vitesse pour mes déplacements. Il me disait « va plus doucement, encore plus doucement » puis « accélère, encore, encore » jusqu’à trouver le bon rythme. Aujourd’hui, j’adorerais travailler avec Wong Kar Wai. 2046 et Happy Together m’ont profondément chamboulée.

Bonbon Nuit :  Avant Human Nature, il y a eu un clip pour les Rolling Stones. Comment s’est déroulé ce téléscopage entre vous l’Américaine et Michel le Français ? 

Patricia Arquette : J’ai vu une de ses vidéos pour Björk et j’ai appelé mon agent pour qu’il se renseigne sur ce réalisateur. Je voulais savoir s’il était sur des projets car je me suis dit, ce type est un génie. Quelques mois après, on m’a proposé ce clip des Rolling Stones et j’ai découvert que c’était Michel qui devait le réaliser et qu’il pensait à moi pour ce "rôle" tandis que de mon côté je pensais aussi à lui ! Pour Human Nature, cela s’est fait naturellement. J’adore l’écriture de Charlie Kaufman, l’imagination de Michel, je suis très fière de ce film, c’est un film très spécial pour moi. Et puis je n’ai jamais été très glamour hormis peut-être dans Lost Highway et encore… Pour moi il s’agissait d’un film sur une mécanique de survie très sexualisée. Lost Highway est une sorte de fantasme. Le personnage, à travers son esprit tourmenté, pense que sa femme est une pute menteuse qui fait tous ces trucs horribles. Mais il ne peut se débarrasser de son attirance pour elle. Mais je suis très différente de ça, de ce glamour. Et ma vie serait très différente si je pensais que je devais participer au monde de cette manière. Je n’ai jamais voulu être la plus belle, la plus parfaite ou la plus désirable, même étant jeune. Je voulais être libre de ces diktats, m’en éloigner le plus possible. Parfois la beauté n’est pas si belle. Alors la proposition de Michel, et la pilosité qui va avec, ne m’a posé aucun problème !  

Bonbon Nuit :  Boyhood invite à observer le temps qui passe en condensé. Douze ans de tournage à raison de 15 jours par an. Une expérience pour les spectateurs tout autant que pour les acteurs. Qu’est-ce que ce film vous a apporté ?

Patricia Arquette : C’était incroyable de voir les enfants grandir. Certaines années, ils se ressemblaient et à d’autres ils étaient totalement changés. Ethan et moi on a vieilli, eux ils ont grandi. J’aurais sans doute pu conserver un physique équivalent pendant les 12 ans de tournage si cela avait été ma priorité, mais cela ne l’était clairement pas et embrasser le destin de ce personnage signifiait ne pas se préoccuper de cette dimension. Boyhood ne m’a jamais semblé un projet étrange. Dès que Richard me l’a proposé, mon corps a dit oui ! C’était tellement excitant. Il n’y a aucun autre réalisateur aux Etats-Unis capable de mener un projet à la fois aussi organique et aussi spirituel. Et c’est un incroyable historien du cinéma. C’était une expérience personnelle, émotionnelle totalement formidable ! Travailler douze ans avec les mêmes personnes, voir les enfants devenir adultes… Le plus dur a été le dernier tournage l’année dernière. On a partagé tellement pendant toutes ces années, je ne voulais pas livrer ça au monde, que cela se termine.

 

Par Ursula Michel, extrait du Bonbon Nuit n°71, février 2017