Par pitié, rendez-moi mes soirées appart\'

undefined 18 mai 2018 undefined 16h35

Victor

Ok, faisons le topo. J'ai passé les quatre dernières années de mon existence de noctambule à traîner dans des "teufs".

Qu'elles se soient déroulées dans des clubs de la capitale ou de la banlieue, dans des entrepôts non-habilités à recevoir du public, dans les clairières du bois de Vincennes, dans des squats chelous sous l'autoroute ou dans des bâtiments totalement délabrés, toutes se situent à l'extérieur de ce que nous appelons communément des "appartements" - c'est à dire, à Paris, des placards à balais de 7m2 avec toilettes à côté de la cuisine.  

Tout ça, c'est très triste. Car les soirées appart' m'ont tout appris, vraiment tout, et je me dois donc, ici, de leur rendre un bref hommage afin qu'elles ne soient pas oubliées dans les catacombes crades de l'histoire de la fête

Voyez-vous, j'ai pris ma toute première cuite dans un appart'. Je me souviens très bien du goût romantique de cette Poliakov, cette vodka bon marché qu'un antifasciste russe transformerait en cocktail Molotov pour la jeter à la gueule de Poutine, et de la chaleur pénétrante de l'éthanol se lovant dans le creux de ma bouche. Il était à peine dix-sept heures, j'avais quatorze ans et, avec mon pote, je découvrais les choix de l'apéro prématuré. Je n'ai aucun souvenir de la suite. 


Que fait le monsieur à gauche ? 


C'est dans un appartement que, pour la première fois, j'ai connu une expérience sexuelle. Je me souviens très bien des circonstances de cet acte d'attouchement spontané et involontairement maladroit. Il était 2h du mat' et, à quatorze ans, le sang de n'importe quel adolescent est inévitablement contaminé par des litres d'alcool. Tout est allé très vite mais j'en garde un souvenir d'une douceur extrême. Je plains ceux à qui cette chose est arrivée pour la première fois dans les toilettes sales d'un club de Pigalle

Est-ce que vous ne trouvez pas ça étrange de payer 15€ pour entrer dans un club puis de payer 2€ pour poser son blouson ? N'est-il pas exagérer de payer 10€ son demi alors que la bière servie est une Kro répugnante qui est aussi chaude que le petit bassin d'une piscine municipale ? Ce qui est cool, dans un appart', c'est que l'entrée est généralement gratuite (sauf si ton pote envisage de partir en week-end avec les sous des autres en prétextant "une participation de chacun pour l'alcool et les gobelets" ou que c'est juste un gros crevard), et que la bière est à volonté. Il suffit juste de se servir. Personne ne dira jamais rien. 

Petite poésie de la soirée en appartement.

Dans les apparts, j'ai aussi pû expérimenter les drogues sans que personne ne vienne m'emmerder parce que le vigile m'a vu à la caméra me foutre une pilule bleue dans le fond du gosier. Ok, les champis en appart' avec cinquante personne mouillées de sueur et une playlist bloquée sur de l'Eurodance (quand ce n'est pas du Gabber si tes potes habitent à Sarcelles), ce n'est franchement pas terrible. Mais vous ne m'enleverez pas de l'esprit que les rails de coke en toute décontraction dans une cuisine équipée d'un frigo américain rempli de charcuterie et de frometon, c'est le feu. 

Ce qui est très drôle dans les soirées appartements, c'est qu'il y'a plein de gens que tu ne connais pas (comme partout) mais, contrairement aux soirées, tu peux aisément leur parler, surtout si une bonne âme a eu l'idée géniale de foutre sur une assiette un gramme de MD en libre service. Et pourquoi ? Tout simplement parce que les gens PEUVENT se parler. Avez-vous déjà essayé de discuter à quelqu'un devant les enceintes du Rex ? La seule personne à qui tu parles sans que ça soit réciproque, c'est l'énergumène des toilettes qui essaie tant bien que mal de te racketter deux euros sous prétexte que t'es défoncé. En soirée appart', au moins, tu peux faire pipi du haut du balcon - et toucher la tête d'un chauve si t'es doué, true story. Les meufs, elles, pourront toujours essayer. A trois heures du mat', plus personne ne fera attention de toute manière. 


Voilà pourquoi je préfère les soirées en appartement.

J'aime les soirées apparts par les rencontres qu'elles suscitent. Des directeurs artistiques, des models, des ratés, des serveurs, des graphistes, des chômeurs, des étudiants, des journalistes du Bonbon, des vidéastes amateurs, des blogueuses mode, des Belges ou des Martiniquais, des racistes ou simplement des Parisiens, des gros connards et des grosses connasses (individuellement ou en couple), des personnes détestables et des personnes qui me détestent parce que, à chaque discussion, je ne peux m'empêcher de fixer les petits défauts de mon vis-à-vis - un monosourcil, des boutons tout blancs, un front gras. J'adore les gens des appartements. Les gens tout court un peu moins mais s'ils sont dans un appartement, c'est ok. Parce qu'à tout moment, je peux fuir.

Tant est si bien que m'incuster à des soirées pour les rencontrer est devenu une véritable passion. Je veux les rencontrer. Les connaître. Les serrer dans mes bras. Peut-être moins les aimer. Ou alors juste pour la nuit. Comprendre comment ils vivent, quels alcools ils boivent, s'ils sont riches ou pauvres, s'ils préfèrent me snober parce que je ne suis pas invité ou simplement m'accueillir à bras grands ouverts parce que j'ai amené une bonne bouteille et un peu d'herbe.

Une star se balade toujours en soirée appartement.

Je ne veux pas que mes soirées appartements d'antan disparaissent avec le développement de la musique électronique, de l'entertainment, des communiquants et tout ce que ça implique d'ouverture de nouveaux lieux festifs, de rooftops éphémères, de micro-clubs, de bars de nuit, de secret warehouses, d'afters dans des endroits glauques et de tous les gens qui se laissent corrompre par la facilité de n'avoir pas à laver son appart' à 7h du mat'

(J'espère que personne n'a trouvé mon vomi derrière le canap')