Je suis physio et vous recaler est toujours un plaisir

undefined 27 avril 2018 undefined 11h16

Victor

Nos teufs semblent bien trop pâles dans les chroniques. Ou plutôt, elles sont plates. C’en est désespérant. Pourtant, votre humble serviteur ici présent a ratissé le fond lubrique de cette satanée nuit parisienne. Pris de vertige face à la purulence et la satiété, la haine et la joie, voici le récit personnalisé des visages de ceux qui accueillent sans répit vos haleines chargées d’alcool et d’éther, vos mines fripées et vos airs religieux. Cessez de croire que cette nuit est ludique pour tout le monde. Il y en a, dans les bas-fonds écorchés de vos soirées, qui en bavent. Voici leurs portraits.


Des crevards. Tous des putains de crevards. Ils arrivent la queue entre les pattes, essayent d’apercevoir le coin de ma liste, m’assènent le nom d’un média bien à chier, du style “Rédac’-Chef du Bonbon Nuit”. Puis, quand je leur dis que j’vois pas de quoi ils 
peuvent bien jacter, ils me demandent, dans un murmure, si j’peux les laisser passer… Des parasites. Les types sont toujours saouls, ils puent le bon gin, le vin nature et le parfum "Pour un homme" de Caron. Des New Balance et une chemise en jean en prime. Des belles raclures. Alors que moi, j’m’en tape. J’m’en tape qu’ils soient pigistes à Konbini, photographes professionnels pour Paris La Nuit, futur patron de Minute Buzz. Moi, si t’es pas sur la liste, tu fais la queue, tu paies ta place et tu casses pas les couilles. Pour toute la coke du monde, je ferais pas cette faveur. Surtout pas pour ces merdes.

Être physio, c’est censé être archi-simple. J’suis pas vendeur de velux, j’m’en contre-fiche de pour qui tu votes, t’auras beau foutre toute la peinture du monde sur ta gueule, tout ce que je veux, c’est des gens qui présentent bien, qui puent pas d’la gueule et surtout qui vont salement raquer. Le patron, il veut pas lâcher le morceau. Il le dit toujours en tripotant sa moustache et en se grattant la couille. Oui, il n’a qu’une couille, rien ne vous échappe. L’autre ? Il l’a perdue. Non, pas comme ses clés.

Un physio très connu qui recale beaucoup

Il avait voulu ouvrir sa gueule contre le mauvais client. Les Russes, c’est pas des rigolos. Celui-là, il rigolait trop violemment pour trouver ça drôle. Z’avaient chopé l’patron à l’aube, quand il fermait l’club. Bim, trois coups de club de golf dans les testicules. Une couille éventrée. Il avait couiné jusqu’à l’hosto. Là-bas... Brrr, j’en ai un sale frisson. Bref, il tripote tout le temps "la restante" comme il l’appelle. Il la caressait donc lorsqu’il dit : « M’en fous que ça soit du negro, du bicot ou du pédé, tant que y’a du flouze qui ruisselle de ses poches jusque dans nos caisses et qu’il fout pas la merde ni la honte : tu fais rentrer. » Moi, l’patron, je l’aime bien.

Au taff, personne peut l’encadrer. Son odeur d’eau de cologne et sa manie d’insulter tout l’monde avec un air dédaigneux, son tempérament et ses sautes d’humeur, il est parfois difficile de s’habituer à son énergie. J’entends les autres grincer des dents lorsqu’il met une tape sur les fesses d’une serveuse d’un air satisfait ou bien qu’il arrive ivre et qu’il nous montre sa petite couille épilée et toute rose. Ils l’insultent sans cesse dès qu’il s’absente, qu’il tourne la tête ou qu’il téléphone à sa femme. Dès que son oreille traîne, là, plus personne ne moufte. C’est fort. Tous à cracher dans la soupe, à nourrir une haine glaciale, puis, le bout de ses bottines passe la porte et là, c’est la déroute totale. Les yeux se baissent, les mains suent, les slips se mouillent.

Un physio moins connu qui recale beaucoup. 

J’en rigole à chaque fois. Des soumis, des petits gosses qui ferment bien leur gueule parce que Papa a la ceinture facile. Il est pas débile ce bougre, il le sait. Du coup, il m’a à la bonne. On s’enfile des poutres pour passer le temps, il regarde brutalement ses écrans de surveillance et je vois qu’il apprécie le décolleté de Jessica au bar. Elle n’a pas l’air de s’en rendre compte. Le patron en pince pour elle. Dans ces instant- là, j’existe même plus. Y’a plus que l’image saturée des gros lolos d’Jessica, l’patron et sa couille rose dans sa main gauche. Du coup, j’prends un dernière trace et j’me tire. Je sais ce qu’il se passe dans ces bureaux d’enfer, quand l’odeur de clope devient insupportable, que les yeux sont fiévreux sur l’écran et qu’une bouteille de Scotch est sur la table.

Mais, le physio il a beau te péter les burnes pour que tu rentres, il sait fermer sa gueule. C’est la règle numéro 1. Quoi que tu voies, quoi que t’entendes, tu la boucles. Peu importe ce qu’il se passe. Peu importe ce qui brille ou ce qui brûle sous mes mirettes. Quand les videurs s’amusent et démontent un hippie qui voulait fumer son pétard à l’intérieur, quand l’patron se frotte le chèque de Jessica sur "la restante", quand la barman tire 100 balles de la caisse, que le Dj crache dans les cheveux de l’ingé-son, que l’ingé-son baise la femme du patron tous les lundis matins « pour le principe ». Tout le monde le sait : le physio, il bosse avec ses yeux.


Article initialement publié dans
le Bonbon nuit du mois d'avril.

Auteur : Ivan Vronsky