Corine, fille de ma région

undefined 15 février 2017 undefined 01h00

Agathe

Mais qui est Corine ? Son clip est partagé par tous les fanzines branchés, elle se fait inviter chez Canal+ avec à peine 1000 fans sur Facebook et on lui prête des liens avec Marc Collin, le créateur de Nouvelle Vague. J’avais envie de rencontrer la Française qui va retourner la disco, histoire d’en savoir plus, ne serait-ce que pour essayer de la pécho, ce qui ne va pas être facile, car je n’ai pas (encore) de moustache.

Bonbon Nuit : Est-ce que je peux te vouvoyer ? J’ai toujours eu pour habitude de vouvoyer les Corine.

Corine : Quelle galanterie, tu me fais rougir. Et moi, je peux te tutoyer ?

Bonbon Nuit : Comment avez-vous fait Corine pour obtenir une interview chez Antoine De Caune, plein de papiers et reviews dans les mags les plus branchés de Paris, mais surtout six pages dans le Bonbon Nuit et avec seulement un EP et 1000 fans sur Facebook ? 

Corine : Ah ça… c’est la magie du disco. Et puis lorsqu’on vient d’une région comme la mienne, tout peut arriver. D’ailleurs je suis en train d’écrire un livre de recettes : Corine fait des tubes, dans lequel il y a le mode d’emploi.

Bonbon Nuit : Corine c’est quoi, c’est un vinyle de 1982 qu’on vient de retrouver ou c’est un truc complètement ancré en 2017 ? 

Corine : C’est un vinyle de 2017 totalement ancré en 82. Je profite d’être ici pour faire un gros bisou à ma famille, surtout à Didier mon petit neveu.

Bonbon Nuit : Y'a une ambiance très film français des années 80 comme Le Père Noel est une ordure, une espèce de disco funk un peu kitsch qui prend aux tripes et donne envie de danser, ça vous fait vraiment kiffer ou c’est pour rigoler Corine ? 

Corine : Kiffer, cela veut dire "aimer" c’est ça ? L’un n’empêche pas l’autre non ? Je me fais plaisir, mais tu vas voir que je ne fais pas que rigoler, je sais aussi pleurer.

Bonbon Nuit : Pourquoi ce retour aux années Giscard ? Vous militez secrètement pour Emmanuel Macron et le retour de la croissance ? 

Corine : Si cette croissance implique un taux de pommes d’amour par habitant supérieur à celui des années précédentes, alors je suis ouverte à la discussion. Jean-Pierre Papin ne se présente-t-il toujours pas en 2017 ?

Bonbon Nuit : Si tu es la mère de Corine, son père c’est Marc Collin, dont l’immense succès a été la reprise de standards des 80’s. Est-ce que tout ça, c’est une façon de dire qu’on a un peu fait le tour de la musique pop et que le meilleur a déjà été fait ? Ou tu crois qu’il y a des choses novatrices qui sortent encore aujourd’hui ? 

Corine : Tout d’abord soyons clairs : je suis Corine. Je dirais plutôt que j’ai deux pères dans cette aventure, l’un biologique - Marc Collin -, l’autre spirituel - Dorion Fiszel. Novateur ou déjà fait, les possibilités sont infinies : notre trio est habité par cette fougue commune du disco-french-boogie, qui n’a jamais été mort.

Bonbon Nuit : Savez-vous si Marc a eu comme inspiration la très riche musique des films pornos des années 70/80, notamment ceux avec Brigitte Lahaie ? Parce que parfois ça y ressemble. 

Corine : A nous trois, nous créons une orgie de références diverses et variées. Dans ce projet, Marc est animé par les 70's et les musiques de Brigade mondaine ou d’Emmanuelle. Dorion, le Dj, plutôt les 80’s et leur érotisme electrico-disco ; quant à moi, plutôt le cinéma de la Nouvelle Vague et ses dialogues féminins naïfs mais si subtils. 

Bonbon Nuit : Quoi qu’il en soit, votre musique donne un peu la gaule, est-ce que ça vous plait Corine ? 

Corine : La Gaule ? C’est dans quelle région ça ?

Bonbon Nuit : Dans une interview, vous dites que l’utilisation de ce style dansant et rétro, c’est une façon de lutter contre l’austérité ambiante. Qu’est-ce que vous trouvez austère aujourd’hui Corine ? 

Corine : Le lait caillé, le beurre rance, les mocassins, les zones industrielles, les cheveux plats, les pointes cassantes, les aires d’autoroute sans restaurant, le JT, les photos médicales sur les paquets de clopes, une piste de danse vide, les ongles sans vernis, les œufs en tube, le surimi, la clim', la sécheresse, les chaussettes mouillées après la neige, un Banco perdant, le mousseux mais surtout, surtout, les pommes sans amour. Les années 70, début 80, sont la dernière époque ou l’on était encore optimiste et confiant pour notre avenir, nous voulions croire au progrès technologique.

Bonbon Nuit : Vous êtes un peu réac' Corine ?

Corine : -tive, oui je suis très réactive.  

Bonbon Nuit : Quand êtes-vous née Corine ? 

Corine : J’ai été conçue en décembre 2015, puis née en novembre 2016.

Bonbon Nuit : De ma région certes, mais de quelle région venez-vous ?

Corine : Une région chaude, humide, brute, raffinée, profonde, sombre, mystérieuse. On y mange tantôt du pâté, tantôt du ceviche, tantôt du chocolat au lait, tantôt du chocolat noir. 

Bonbon Nuit : Est-ce que vous surnommer fille de ta région, c’est un peu une façon d’annoncer que la "fille de ta région" que te promettent les pubs M6 depuis 30 ans est enfin arrivée et existe vraiment ? 

Corine : Je dois t’annoncer que cette fille a toujours été là, près de toi. C’est la coiffeuse de ton village, la barmaid de ton quartier, la femme de ménage de ta mairie, l’institutrice dont tu rêvais en CM2, la secrétaire de ton dentiste… 

Bonbon Nuit : Quel est votre type d’homme ? 

Corine : Un homme à la pilosité lui permettant une moustache bien taillée, avec son flacon d’huile d’amande douce toujours en poche. Un homme à qui le peignoir sied comme un gant de toilette humide à la sortie d’un hammam-spa brûlant, un homme sauvage dont le regard se perd sous des verres fumés, l’air robuste, le torse généreusement bombé, mais n’ayant pas peur de verser une larme.

Bonbon Nuit : Vous savez que les moustaches c’est un nid à microbes ? 

Corine : Comme disait ma grand-mère : « les microbes c’est la santé », ou mon grand-père « pierre qui rousse n’amasse pas moule » ou un truc du genre.

Bonbon Nuit : Toutes les stars des années 80 se sont révélées être devenues un peu con, engagées et souvent réac', ça sera votre cas dans 30 ans ? 

Corine : Ah bon, toutes ? J’ai bien de quoi démolir ta théorie en quelques mots gracieux : Catherine Ringer, Etienne Daho, Elli Medeiros… et j’en passe.

Bonbon Nuit : Pour qui allez-vous voter en 1995 ? Chirac ou Jospin ? 

Corine : Je n’ai toujours pas ma carte d’électrice, ma chevelure n’entrant jamais dans le cadre de la photo demandée.  

Bonbon Nuit : Vous ne trouvez pas qu’on vit dans un univers un peu trop nostalgique ? Je sais pas si vous regardez South Park, mais c’est un thème récurrent dans la dernière saison et la théorie des auteurs serait que c’est cet excès de nostalgie qui aurait amené à l’élection de Trump et ça nous ramène à une espèce de fascination qu’on a en France pour les 30 Glorieuses, les années Chirac… Tu penses que Corine participe à ça ou qu’elle est sans danger ? 

Corine : Effectivement, je n’avais pas vu les choses sous cet angle. Il est désormais très possible que je sois dangereuse pour la France. Courage, fuyez. Plus sérieusement, l’esprit Corine c’est effectivement retrouver une certaine naïveté, l’innocence et aller au bout de ses idées sans tabou. On se moque aujourd’hui des hits du Top 50 d’alors, mais finalement on envie un peu secrètement la légèreté d’approche des ces artistes, je pense a Lio ou Niagara par exemple. Mes influences sont très notables, mais je les digère bien, non ?

Bonbon Nuit : Après le disco, il y a eu le punk. Est-ce que Corine va se vénère dans un prochain album ? Ou alors Corine attendra le revival dance dans 20 ans ? 

Corine : La grande vague du disco est contemporaine à l’explosion du punk et s’est finalement réinventée de décennie en décennie. Le disco n’est pas qu’une musique, c’est un esprit, une révolution - sucrée, ne l’oubliez pas.

Bonbon Nuit : Pourquoi avoir pris le nom de toute une génération de femmes devenues comptables ? Tu veux te battre pour elles ? 

Corine : Certains me taxeront de prosélytisme, mais je veux surtout me battre pour toute femme comptable n’ayant pas eu la chance de s’appeler comme moi.

Bonbon Nuit : Chaque musique est associée à une drogue, quelle est celle de Corine ? Corine ? 

Corine : "Corine" dans le jargon de ma région, ça veut dire cocaïne. En revanche, je n’en consomme pas. Serait-ce donc moi le stupéfiant ? 

Par Raphaël Breuil, extrait du Bonbon Nuit n°71, Fevrier 2017.

©Zoé Kovacs