Théâtre de Boulard

undefined 1 avril 2015 undefined 00h00

Simon Kinski Znaty

Je déteste au théâtre les habitués pédants avec leur collier de barbe pervers, la sodomie quand tu payes tes 4 cl de whisky, cette gêne à être dans une pièce avec plein d’inconnus qui ont décidé de faire comme toi, et cette tension qui précède les trois coups de bâton. 

Malgré tout, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas fait une sortie culturelle. Mon professionnalisme prend le dessus et s’empare du clavier après avoir fermé cette vidéo de chats acrobates : il me faut un théâtre ce soir. Par mauvaise saisie providentielle, je tape "théâtre suçoir" et tombe sur LE Théâtre Suçoir, "Tournage d’une scène X en direct". Mon excentricité sexuelle prend le dessus et s’empare de ma souris. Je ne devrais pas être déçu, le porno c’est comme une pizza, quand c’est bon, c’est bon, et quand c’est pas bon, c’est quand même plutôt sympa. J’appelle le numéro et tombe sur Jean-Luc, qui m’explique sa soirée "coquine mais pas libertine" : du hard et de la convivialité au rendez-vous. J’ai presque envie d’inviter ma meuf, mais j’en ai pas et j’me dis que c’est pas étonnant vu les endroits où j’traîne.

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J’arrive donc à 21h à l’adresse indiquée. Je trouve un restaurant asiatique tenu par des juifs, jusque là rien qui ne sorte de l’ordinaire. Jean-Luc me souhaite la bienvenue et m’invite à manger un bout. Je prend quelques lychees bien juteux pour me mettre dans le bain et m’assoie à côté de Karine et Gregory. "C’est l’occasion de sortir de la routine", me dit la fonctionnaire. Je me retourne et remarque un autre couple, très jeune. "Je cherchais un cadeau d’anniversaire original et je suis tombé là-dessus" m’explique Sheba. Une femme deux fois plus âgée que moi rejoint la joyeuse tablée. Elle porte un haut très, très échancré et une ceinture avec un cobra en diamant style "L'Histoire sans fin". J’ai affaire à Charlie Spark, pornstar catégorie "Femmes mûres", 20 ans de cul derrière elle, je ne peux qu’être impressionné. "Spark, comme les étincelles, comme le groupe". Vous savez, les copains des Rita Mitsouko dont le pianiste portait la moustache façon Hitler ? Je lui demande si elle joue ce soir, autrement dit, si j’aurai l’honneur de la voir se faire baiser. "Ah non, ou alors en séance privée…". Je commence à être excité. "Ce soir je tiens la caméra, j’me recycle. Le porno, ça a beaucoup changé avec Internet, tout est gratuit, on est payées comme des débutantes. Y’avait plein de théâtres érotiques à l’époque, vers Montmartre, y’avait les travelos, la bande à Bono, beaucoup de touristes… Moi j’aime pas les bobos."

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Je descends au sous-sol et prends ma conso au bar. Je vois mes vieilles névroses théâtrales à travers un prisme sexuel, c’est la 4e dimension du cul. Un habitué jovial avec son collier de barbe pervers, la sodomie assumée tout court, cette gêne à être dans une pièce avec plein d’inconnus venus se rincer l’œil comme toi, et cette tension sexuelle qui précède et encadre tous les coups de bâton. Je croise la jeune actrice de ce soir, Silvia. C’est son dépucelage Suçoir, elle se produit devant un public pour la première fois. "Qu’il y ait des spectateurs ou pas, ça ne change rien pour moi, je sais ce que je dois faire". Silvia retourne à sa séance photo préliminaire, alors je vais voir Michael, son partenaire, qui travaille depuis longtemps avec Jean-Luc et perfor(m)e également à des salons érotiques.  "À l’origine je faisais du théâtre, puis du porno, maintenant je fais les deux". Le rideau se lève, ainsi que la gaule de Michael qui se branle dans les chiottes pendant que Jean-Luc fait son speech. Le maître de cérémonie nous remercie de notre présence. "Ça devient une famille ici, pas une secte" plaisante-t-il. "On espère faire une représentation par mois le jeudi et une soirée par mois le samedi. Donc profitez bien, après tout on est les seuls en France à faire ça, c’est en quelque sorte une exclusivité". C’est presque bobo comme pièce en fait, elle en pense quoi Charlie Spark ?

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Chut ! Ça commence. Silvia se déshabille : "Je ne sais pas ce que vous avez l’habitude de voir…" dit-elle avec une sensualité contrastée par son accent provincial, "Tout !" répond Teddy, un habitué qui vient régulièrement avec sa bande de potes, une bouteille de Champagne sur la table. Michael, bien échauffé et chewing gum en bouche, se fait sucer devant Charlie Spark qui filme en souriant. Elle fait signe au Dj de monter le son. Vraiment, elle prend son pied. La petite Silvia rit, hurle et insulte Michael, un jeu d’actrice captivant et des répliques à la Audiard. "Baise moi fort ! Putain, putain, putain ! Fais-moi jouir !" Le public se tape des barres, Michael se tape Silvia, j’me tape mon whisky, vraiment, c’est bonne ambiance le porno. On me demande de me baisser, c’est Sheba qui semble encore plus captivée que son mec.

45 minutes de hard, c’est dur, ça change de position deux-trois fois avant de finir sur le sol juste devant moi, c’est comme la 3D, il me suffirait de tendre les bras pour toucher les protagaulistes, avec l’odeur en bonus. La tragédie de Silvia suit sa machination infernale et comme Antigone, elle sait que les dieux lui réservent à la fin la fatalité d’une éjaculation faciale. Le public applaudit chaleureusement la pièce et ce bouquet-quette final. Je me retourne, Sheba et Jeremy sont déjà partis, ça donne des idées comme spectacle. Karine et Gregory sont déçus, ils pensaient que ce serait plus long. Moi je reste toujours sans voix après une bonne tragi-roco-comédie. Les spectateurs débriefent, chacun y va de son commentaire, la boucle est bouclée : je suis vraiment au théâtre. "On peut avoir le respect de la gaule !", "Les films de boules c’est excitant mais ça non, tout le monde est à moitié mort de rire, « Si c’était vraiment un tournage, ça aurait été plus intéressant, mais là c’est pas le même budget »,  on retrouve le fameux client pédant : « Le concept global est marrant. Pour avoir travailler dans des soirées partouzes, le mec fait pas ça pour l’amour de l’art, c’est une opération financière, ce n’est pas subversif ». 

C’est bon de se cultiver, vraiment.