Chronique cannoise #2 : « Un ange, des loosers, et de l’amour »

undefined 16 mai 2018 undefined 21h13

La Rédac'

Après avoir touché du doigt la grâce humble et rurale de la Toscane avec La Meraviglie et son Grand prix du jury en 2014, Alice Rohrwacher revient en compétition officielle avec « Heureux comme Lazzaro », très attendue. Baignant dans la nature italienne quelle affectionne particulièrement, en rajoutant cette fois de la grandiloquence avec de sublimes plans aériens, Rorhwacher bascule rapidement dans une fable contemporaine déroutante. Car au départ, nous voilà perdu dans une époque inconnue, où le temps s’est arrêté, une cinquante de personnes restés bloqués dans un âge féodal travaille gratuitement pour une tyrans comtesse, reine du tabac et donc de l’esclavage. Lazzaro rayonne parmi eux par son visage angélique, figure religieuse, icône intangible d’une morale infaillible. S’associe à lui Tancredi, jeune bourgeois, le blondinet fils de la comtesse, devant complice avec Lazzaro en organisant son faux enlèvement pour emmerder maman. Le film est alors sur un fil conducteur bien marqué. Jusqu’à ce que Rorhwacher twiste son scénario et transforme cet bel été italien en une fable naïve, parfois enfantine mais désormais ancrée dans la violence dune société moderne où les beautés du monde sont oubliés, piétinés, pillés. Si l’on était de mauvaise foi, on pourrait presque croire à une ode au Mormonisme et au retour idiot à la simplicité de la vie. Mais je crois sincèrement que là n’est pas le message. Par cet effet de bascule, « Heureux comme Lazzaro » nous plonge dans un moment rare, hors du temps, une de ces émotions que l’on aime sentir au cinéma, voir se créer l’extraordinaire dans l’ordinaire d’une mise en scène humble, et tellement sincère. Je n’en dévoilerai pas plus mais Rorhwacher ne nous a pas déçu. J’ose espérer un prix. Qu’importe lequel.

 
©Tempesta 2018

On enchaine avec « Le Grand bain » de Gilles Lellouche, de l’acteurs bankable à la pelle (Poolvoerde, Effira, Amalric, Canet, Bekhti), le nouveau petit génie de la comédie (Philippe Katerine) et le tout dans un pitch improbable (une équipe de loosers tous perdus entre alcoolisme, dépression et carrière minable se rassemblent pour former une équipe de natation synchronisée masculine) : résultat des courses, on se marre souvent, on s’ennuie un peu, et on pardonne rapidement les maladresses d’un Lellouche qui filme ses potes comme un film de vacances, intimiste mais pas une seule fois pathétique. Ca sent l’énorme carton au box-office avec cette comédie efficace, à la bonne vanne bien sentie, qui joue avec la tristesse quotidienne de cette génération entre 40 et 50 ans qui ne savent plus baiser, ni même respirer correctement. C’est super drôle, et ça fonctionne presque jusqu’à la fin, où la bien-pensance du producteur finit par l’emporter forcément avec cette morale à la con dont on se serait bien passé. Mais allez, ça donne une caution familiale avec cette grosse entreprise à fric. Mais hônnetement, le film est inattaquable car sans prétention, uniquement celle d’une bonne vieille comédie française bien tapée. Je n’en demande pas plus. Mention spéciale à un Katerine toujours aussi bon, et un Canet qui s’est vachement bien joué les enculés. Un peu de hauteur après ce début de final sacrément pesant, ça fait du bien.


©Mika Cotellon - (c) (2018) TRESOR FILMS – CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - COOL INDUSTRIE – STUDIOCANAL - TF1 FILMS PRODUCTION - ARTEMIS PRODUCTIONS

 

Le vent se lève, la pluie s’abat sur ma petite carcasse frêle et indigente. Ca fait 20 minutes que j’attends comme un con pour entrer dans cette putain de soirée de Gaspard Noé et son film Climax. Premier vrai échec de ce festival, l’abandon et le retour de la honte sous une pluie battante dans mon petit studio cannois. Je n’ai pu tenir bon, me battre avec ce fichu carton pour pénétrer l’antre de la teuf de la plage Magnum. Allez, on retente le coup demain. Il faut vraiment dormir. Un peu.


©Art House

Quand une télévision japonaise m’agrippe pour parler de Asako 1 & 2 du réalisateur japonais Hamaguchi en fin de projection, je me suis quelque peu enflammé en parlant d’un film naïf, rohmerien et baigné dans une réalité qui dépasse son propre auteur. Avec un peu plus de recul, je me vois moins emballé que mes dernières larmes d’une scène finale touchante m’ont fait croire. Aussi simpliste dans l’écriture qu’un Hong Sang-Soo, on retrouve ici un chassé-croisé amoureux dans un couple d’une banalité presque effrayante, ou la femme tombe amoureuse du sosie de son ex, devenue starlette pour adolescent avant de recourir dans ses jupons pour finalement se rendre compte, seul au milieu d’une route déserte, qu’elle a fait le mauvais choix amoureux. D’apparence donc d’une banalité crasse, la beauté comme dans un Paterson de Jarmush par exemple réside dans la normalité, la routine, l’humour situationnelle et du quotidien. Sans jamais ennuyer, mais sans non plus emballer, Hamagochi joue la carte de l’émotion à travers la naïveté et l’épuration d’une mise en scène très géométrique. Mais malheureusement, si l’on reprend en comparaison Jarmush, il faut alors réussir une mise en scène brillante, d’une justesse absolue pour toucher et retourner le ventre du spectateur. Et malheureusement, après de longues minutes post projection, il ne reste plus grand chose en fond de gorge, l’émotion vive ressentie en fin de film s’est dissipée si vite que me voilà déjà dans la file d’attente pour le nouveau film de Spyke Lee, en ne pensant qu’à sa réussite espérée. C’est décevant car j’ai ressenti E dessiner les lignes d’un grand film. Mais au moment il devrait s’enlever, il retourne trop rapidement sur ses pieds. Sans jamais créer le déséquilibre nécessaire à un film réussi.

 

Par Pierig Leray