Anti-masques : les raisons de la colère

undefined 19 septembre 2020 undefined 12h12

Manon Merrien-Joly

En Indonésie, sur l’archipel de Java, huit personnes n’ayant pas respecté l’obligation du port du masque ont dû creuser des tombes pour des personnes décédées des suites du virus Covid-19. D’autres, dans la ville de Probolinggo, toujours à Java, ont dû monter dans un corbillard contenant un cercueil utilisé pour le transport des corps des patients décédés du même virus, après qu'ils aient été interpellés pour non-port du masque. En France, le masque a été rendu obligatoire dans tous les lieux publics clos le 20 juillet 2020 puis dans les rues des grandes villes. La sanction en cas de non-port du masque est moins salée, et conduit à ouvrir le portefeuille plutôt qu’à effectuer des Travaux d’Intérêts Généraux. S’ils étaient seulement entre 200 et 300 lors d’une manifestation le 29 août à Paris pour dénoncer le port du masque obligatoire, ils sont plusieurs milliers à se rassembler sur différents groupes Facebook.  

Dans une étude publiée le 7 septembre dernier, la fondation Jean Jaurès brossait un portrait des anti-masques en s'immergeant dans ces groupes Facebook s'étant créés sur le sujet. 

Antoine Bristielle est professeur agrégé de sciences sociales et a conduit cette étude ayant collecté les opinions et les croyances des militants anti-masques présents sur les réseaux sociaux. Parmi le millier de militants à répondre au questionnaire, un profil type se dessine : l’anti-masque “type” est une femme (représentées à 63%), âgée d’en moyenne 50 ans avec un haut niveau d’éducation (bac +2 en moyenne).

Des arguments à l'encontre des préconisations de l'OMS

Les raisons invoquées à l’opposition du port du masque sont multiples et s’opposent à l’ensemble des faits scientifiques : le masque serait inutile, voire pas en mesure de protéger contre le virus. Plus qu’inutile, ce dernier ne permettrait pas une oxygénation suffisante et constituerait un nid à bactéries qui pourrait entraîner des “complications médicales dramatiques”. Parmi les anti masques, certains pensent également que l’épidémie de covid-19 est terminée, voire n’a jamais existé. Enfin, d’autres estiment que le but du port du masque est d’asservir la population : ils comparent alors à une “muselière”, “destinée à tester la servilité de la population et serait annonciateur de la mise en place d’un nouvel ordre mondial sans liberté aucune pour le citoyen” détaille l’étude.

 Photo d'une internaute postée sur un groupe Facebook anti-masque

 

Ces arguments, qui vont à l’encontre des préconisations de l’Etat, de l’OMS et des conseils scientifiques trouvent leurs racines sur les réseaux sociaux, source principale d’information des individus interrogés : l’enquête de la fondation Jean Jaurès révèle que 78 % des individus interrogés s’informent prioritairement sur Internet alors que ce n’est le cas que pour 28 % des Français et que seuls 8% des anti-masques s’informent prioritairement à la télévision contre 47% de la population. Un comportement radicalement opposé, donc, aux usages des Français. 

Défiance institutionnelle, libertarisme et complotisme

Autres faits intéressants pour comprendre le raisonnement des anti-masques, c’est que cette opposition s’inscrit dans un climat de défiance institutionnelle de la part des individus interrogés : ainsi, seulement 6% des anti-masques déclarent avoir confiance dans l’institution présidentielle contre 34% des Français. Ils sont par ailleurs seulement 2% à déclarer faire confiance au président de la République contre 34% du reste de la population, et 53% à faire confiance aux hôpitaux contre 87% des Français. L’étude montre donc une défiance face aux institutions, donc, mais également une forte attirance vers les positionnements libertaires, une philosophie particulièrement présente aux Etats-Unis. Le libertarisme, rappelle l’étude, désigne “des attitudes favorisant à la fois un libéralisme sur le plan économique (refus de l’ingérence de l’État dans l’économie et de toute forme de redistribution) et sur le plan moral (acceptation du mariage gay par exemple)”. 87% des interrogés disent être d’accord avec l’idée selon laquelle la société fonctionne mieux lorsqu’elle laisse les individus prendre la responsabilité de leur propre vie sans leur dire quoi faire, et 95% pensent que le gouvernement s’immisce beaucoup trop dans leur vie quotidienne, tandis que 59% des interrogés pensent que chacun devrait être libre de faire ce qu’il veut. 

 Illustration qui circule sur plusieurs groupes Facebook anti-masque

 

D’autre part, l’étude montre qu’une grande majorité des interrogés sont sensibles aux théories conspirationnistes : 90% d’entre eux sont d’accord pour dire que le ministère de la santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher la réalité sur la nocivité des vaccins et 63% croient à plus de la moitié des thèses complotistes qui leur ont été présentées. Ce chiffre s’inscrit dans la continuité des résultats montrant les sources d’informations des interrogés, qui sont 51% à faire confiance aux informations présentes sur les réseaux sociaux, contre 14% des Français. 

Les groupes Facebook, haut-lieu de rassemblement des anti-masques

On observe que les anti-masques s’échangent principalement des informations (généralement peu sourcées, des montages et des photos, des vidéos et des récits personnels) via des groupes Facebook comme “Stop à la "masque-arade"” (plus de 28 000 membres au 18 septembre 2020), “NON AU MASQUE ! je suis un être libre, jamais je ne me laisserai bâillonner” (plus de 5000 membres) ou encore “masques et anti-masques” (13 000 membres) et dénoncent la plupart du temps des mesures “liberticides” et invitent à ne pas faire confiance aux médias traditionnels. 

 Montage posté sur un groupe Facebook anti-masque

Un mouvement né il y a plus d’un siècle

Si en France, le courant reste marginal, un mouvement similaire naissait aux Etats-Unis... en 1918. On a retrouvé la trace d’un mouvement anti-masque au XXe siècle, à San Francisco en Californie pendant que sévissait l’épidémie de la grippe espagnole. En octobre 1918, le port du masque est rendu obligatoire par ordonnance, plutôt bien respectée par la population, avec environ 80 % des personnes portant des masques en public. Le 21 novembre, en dépit du fait que le nombre de cas est en augmentation, l’ordonnance est levée, puis une nouvelle ordonnance entre en vigueur en juillet 1919.

 Un policier ajuste le masque d'un homme pendant la grippe espagnole de 1918

C’est à ce moment que se créée une Ligue anti-masques, composée de citoyens, de médecins et de libertariens civils, dont les objections portaient pour certains sur des questions de données scientifiques, tandis que pour d’autres, l’obligation du port du masque constituait une atteinte aux libertés civiles. Le 27 janvier 1919, la Ligue présente une pétition demandant l’abrogation de l’ordonnance sur les masques : la ville la lèvera au 1er février de la même année, sur recommandation du conseil sanitaire.

Au delà du profil-type

Au delà de ces profils-types établis par l’étude de la Fondation Jean Jaurès, le port du masque obligatoire ne fait pas que des émules. C’est notamment le cas de Mathilde, 26 ans qui juge cette mesure “infantilisante” et déplore le manque de pédagogie de l’Etat : “Ca fait naître des sentiments hyper mélangés. Ce n’est jamais tout blanc ou tout noir, mais je suis contre l’idée qu’il faille appliquer quelque chose alors que le gouvernement n’a pas l’air de trop savoir de quoi il parle. J’ai besoin d’être éclairée par raisonnement scientifique, j’ai plutôt l’impression qu’on nous a imposé la chose sans être pédagogue. Si au début je n’avais pas vraiment d’avis et je considérais que c’était un acte citoyen, que ce qui primait c’était de faire comme tout le monde, je ne voulais pas favoriser la propagation du virus. Aujourd’hui en apprenant plein de choses sur les effets du masque je trouve qu’on n’a pas été informés, qu’il n’y a pas eu de  pédagogie et je me demande si l’Etat lui même maîtrise la décision qu’il a prise, et à mon avis non.”

Et comme d’autres opposants au port du masque, elle se réfère aux discours anti-masques tenus par certains médecins et qu’on peut lire dans plusieurs groupes Facebook anti-masques, qui déclarent que les masques réduiraient la capacité du système immunitaire à se défendre voire “serait un nid à microbes” ou causerait des maladies. 

Cet argument a pourtant été réfuté par Gilles Dixsaut, médecin de santé publique spécialiste en physiologie respiratoire, président du comité francilien de la Fondation du souffle, interrogé par Les Décodeurs, la branche de vérification des fake news du journal Le Monde : « Les poumons et les bronches ne sont pas des milieux stériles, il y a à l’intérieur tout un microbiote qui constitue un équilibre. Les bactéries que vous expirez viennent de ce microbiote. » a expliqué le médecin. Par ailleurs, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a rejeté la thèse selon laquelle le masque affaiblirait le système immunitaire en coupant son porteur des bactéries extérieures : « Aucune explication claire n’est donnée pour expliquer ce lien, et, là encore, aucun argument scientifique ne vient appuyer cette hypothèse », rapporte Le Monde. 

En dehors de l’aspect infantilisant, la pollution engendrée par les masques chirurgicaux est mentionnée par Marie-Jo*, 25 ans qui, si elle n’est pas complètement opposée au port du masque émet quelques incompréhensions sur les lieux où il est obligatoire : “ Je trouve que c’est utile si effectivement tu es à l’intérieur, face à des centaines de personnes, je considère qu’il faut le mettre mais si tu es dans un parc en plein air et qu’on te demande de garder ton masque alors qu’il n’y a personne, j’ai du mal à comprendre. Ensuite le masque ça permet de pouvoir limiter la propagation du virus mais je pense qu’une grande partie des personnes le remet plusieurs fois, je trouve ça absurde alors qu’au final le masque traîne on ne sait pas où, les gens le remettent, je trouve que ça n’a pas trop de sens. Je considère que c’est quand même important de le mettre dans les transports, dans les magasins, les centres commerciaux car ce sont des endroits fermés, mais il y a des moments où dans les restaurants tu peux l’enlever, puis tu fais 10 mètres pour aller aux toilettes, tu le remets... Enfin, pour moi le masque a un impact hyper alarmant écologiquement du fait de leurs usages uniques, certes c’est pratique contre le covid mais ça pollue énormément. C’est surtout ça, les masques chirurgicaux, je suis incapable de me dire que je vais le porter tous les jours en sachant que ça dégrade la planète.” 

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Comme Marie-Jo, Chloé* aborde "l'hypocrisie" des situations où il est obligatoire de le porter ou non : "On peut être entassés dans des bars, quand on boit et quand on mange on ne doit pas porter de masque alors qu’on positionne tout autant, c’est comme l’hypocrisie de mettre le masque au bureau puis manger ensemble et se cracher dessus pendant une heure au déjeuner, moi je trouve que le masque dans la rue c’est totalement inutile et je ne vois pas pourquoi je le porterai." La jeune femme de 30 ans explique ne pas se revendiquer anti-masque, mais prône la liberté individuelle : "Je ne suis pas dans une confrontation, j’ai une mini-réticence qui n’a rien à voir avec du complotisme, je n’irai jamais militer avec les anti-masques, je trouve qu’il est nécessaire dans certaines situations, inutile dans d’autres et je pense avoir assez de bon sens pour juger par moi-même. Je n’irai pas insulter un flic parce qu’il me demande de porter un masque, j’obtempérerai puis je l’enlèverai quand il sera passé. Il n’y a pas du tout de revendication derrière anti-flic, politique ou militante, j’achète juste ma tranquillité."

De son côté, Antoine souligne les différences d'effet engendrées par le port du masque selon les populations qui le portent : “Ça met tout le monde sur le même tableau et souvent on oublie des petits détails de rapports privilégiés à l’application d’une loi qui peuvent être contraignants, on pense pas forcément aux SDF, aux gens qui ont des difficultés particulières par rapport à ça. Le jeune homme de 30 ans explique que pour lui, le point le plus important, qui [lui] fait dire qu”[il a] un problème avec le port du masque c’est plus la déresponsabilisation. En gros on nous impose quelque chose sans nous laisser prendre position par rapport à ça et sans nous donner la possibilité d’appliquer cette mesure tous seuls. C’est à dire que le but c’est effectivement de protéger les autres, d’être responsable vis-à-vis des vieux, des voisins, des commerçants, des gens dans la rue, sauf que si on te donne une loi sans la possibilité de réfléchir et jamais te positionner par rapport à ça, tu ne vas jamais te responsabiliser, et c’est pour ça que ça crée tout de suite une séparation entre les gens qui vont respecter et ceux qui ne vont pas respecter et qu’on va traiter d’irresponsables, alors qu’on ne donne pas la marge aux gens de pouvoir se responsabiliser et dire « je porte le masque ou je ne porte pas le masque ». J’ai un problème avec le fait qu’il y ait une loi qui s’applique pour tout le monde, avec une amende si on ne la respecte pas, pour quelque chose qui est censé relever de la responsabilité individuelle et collective, de la compréhension des enjeux et des risques liés à la transmission du virus et à la maladie en elle-même.”

Le bouleversement des rapports sociaux qu’engendre le masque est aussi régulièrement mentionné. Selon Antoine, “Si je vais dire quelque chose contre le masque ou contre le confinement quand il y avait le confinement, en disant que ce n’est pas normal qu’on doive être confiné, que c’est normal qu’il y ait une obligation de porter le masque, on va dire soit que je suis responsable, soit que je prends des risques. Alors qu’en fait justement j’ai envie qu’on mette tous le masque parce qu’on y a pensé et parce qu’on est responsables, pas parce qu’on y est obligé. Je pense que de cette façon-là, même si c’est difficile parce qu’on met toujours du temps à atteindre cet état, c’est plus efficace, car les gens mettront le masque de façon intelligente, c’est à dire quand il y a des risques, quand ils croisent des gens, quand ils vont voir d’autres gens et pas parce que c’est obligatoire et qu’ils vont prendre 135 euros d’amende. C’est pour ça que je parlais de responsabilisation et d’infantilisation : pour moi, cette loi, qui ressemble à beaucoup d’autres et qui ressemble au système dans lequel on est, c’est une façon de nous déposséder de la décision et des responsabilités qu’on est censés prendre.”  

En août dernier, un sondage IFOP réalisé pour le JDD révélait que 70% des habitants de la région parisienne était favorable à l’obligation du port du masque dans les espaces publics ouverts, un chiffre qui diminue chez les moins de 35 ans qui sont seulement 58% à se positionner en faveur de cette mesure, et semblent se sentir moins concernés. 

Que vous soyez anti-masque ou non, si vous souhaitez éviter les amendes avec style, on vous conseille d'aller faire un tour de notre guide des masques à s'offrir en période de pandémie par ici

*Les prénoms ont été modifiés.