Tournée générale : la France a-t-elle un problème avec l'alcool ?

undefined 18 novembre 2019 undefined 18h07

Manon Merrien-Joly

Où se retrouve-t-on depuis que les bistrots ferment les uns après les autres ? Doit-on boire pour gagner une campagne électorale ? Par quels biais la start-up nation veut vous faire boire autrement ? Comment les bières artisanales ont-elles progressivement envahi les tireuses de France ? Dans Tournée Générale - La France et l'alcool un essai qui ne voit le verre ni à moitié plein, ni à moitié vide, Thomas Pitrel et Victor Le Grand auscultent la France sous le prisme de son rapport à l’alcool, du banquet gaulois à l’afterwork. 


En parcourant le livre, on a d’emblée l’alcool mauvais, notamment quand il s’agit de s’attarder sur l’hécatombe des cafés, derniers espaces de convivialité pour certaines villes comme celle de Pussay dans l’Essonne, conséquence de la crise de 2008 mais surtout de l’installation des hypermarchés dans les années 1960. Cependant, pas le temps de gueuler « 
rendez-nous nos PMU » ! Car d’autres dilemmes nous attendent. Tiraillés par le “French Paradox” alimenté par la guerre des lobbys (qui remportera la coupe, entre les associations de prévention contre les risques liés à l’alcool et les viticulteurs désireux de préserver leur patrimoine ?), on s’engouffre dans de nouvelles pratiques pas forcément rassurantes. 

A commencer par nos habituels sauveteurs de la start-up nation pour qui le vin est un produit comme les autres : tu connais la WineTech ? Cette charmante sauterie, présentée comme « la première coordination mondiale des start-up du secteur du vin » vous est proposée par (entre autres) un ancien énarque qui donne envie de pleurer du sang à la lecture de son témoignage (« je suis un peu un anarchiste de droite, en fait ») entre deux rondelles de sauciflard dans son appartement vide du 8e arrondissement.

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La formidable ascension continue lorsqu’il en vient au moment où l’idée germe : « bon les gars, ont se fait chier, on est petits, on n’a pas de pognon, les journalistes ne comprennent pas ce qu’on fait. Je vous propose de créer un machin qui va s’appeler la Winetech. On va faire un logo sympa, une page web commune, bombarder sur les réseaux sociaux ». Décidément Anar jusqu’au bout, ce Haut-Fonctionnaire dit ne pas gagner d’argent, « mais de l’influence et une certaine aura ». Pourtant, se désole-t-il « le vin est un milieu très traditionnel, conservateur. Les mecs qui ont du pognon préfèrent acheter des vignes que de le mettre dans une start-up ». Mais une fois de plus, pas le temps de s’attarder sur le cas de ce pionnier de l’e-viticulture puisque comme le dit l’adage, vomir c’est repartir. 

C’est donc reparti pour une grosse marrade en lisant les paroles rapportées de Françoise Grossetête, députée européenne qui dénonce, armée d’une confiance en soi à toute épreuve « le problème de la bière, c’est que les jeunes en font des compétitions. Les jeunes ne boivent pas de vin, ils se saoulent à la bière qu’ils mélangent avec de la drogue, de la vodka. » Si le mélange ne vous écoeure pas, n’hésitez pas à le corser avec une bonne dose de déconstruction de clichés offerte par Stéphanie Pillonca, qui parle de son bouquin sur les premières fois : « On a l’impression qu’une fille qui boit doit le faire avec élégance, du chien, de la mesure. Quelque chose de pondéré. Une nana ne va pas te dire publiquement qu’elle s’est mise minable au Montana et qu'elle a gerbé dans les chiottes. » Et pourtant, elle voit dans l’alcool un des vecteurs de décomplexion chez les femmes qui « maintenant, ont une façon de célébrer la vie très forte. Elles sont dans le partage. »

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Aux sympathiques piliers de bars et auteurs alcooliques pour qui l’alcool est « le vecteur-même de l’essence métaphysique » si l’on en croit l’écrivain Alexandre Lacroix, Pitrel et Le Grand opposent Jean-Paul Sartre, « Polytoxicomane, consommateur d’amphétamines (qui) tombe, tous les jours, deux litres de bière, une bouteille de vin et presque une demi bouteille de whisky, en plus de deux paquets de cigarettes. ». Sa productivité ne s’en voit nullement ralentie, lui qui est capable « de lire un livre et d’écrire entre 20 et 50 feuillets en vingt-quatre heures, et ce jusqu’à 75 ans ». Pause symbolique à la buvette où on croise quelques députés qui retracent le rôle-clé qu’ont joué les vins et spiritueux (deuxième plus gros succès français après l’aéronautique en 2017) dans les relations diplomatiques. Certains sont nostalgiques à l’image de Jean Lassalle qui déplore « l’absence de proximité avec le peuple », lui qui, pour annoncer une mauvaise nouvelle à quelqu’un « l’invitait à boire un coup »

Il y a ceux qu’on attendait au tournant (qu’aurait eu l’air d’un bouquin sur la France et l’alcool sans un témoignage de Joey Starr?) mais aussi ceux qui savent balancer les anecdotes croustillantes au bon endroit et au bon moment comme Ardisson, quelques mois après le dossier fleuve publié par Society également produit par VLG - ici, notre soif de ragots est étanchée par les anecdotes de Beigbeder vomissant dans les loges avant une émission de Tout le monde en parle, ou la baston dopée à l’éthanol entre François Berléand et Renaud. Il y a ceux qui se livrent, ceux qui, comme Vincent Maraval tentent de mettre de l’ordre dans tout ça (« est-ce qu’on est meilleur quand on est sobre ou quand on est bourrés ? ») et ceux qui préfèrent observer, à l’image de Philippe Jaenada qui dit si joliment qu’ « aller au bar, c’est comme se faire un petit jacuzzi dans la société ». Autant de voix qui interrogent la place de l’alcool dans le processus de création. 

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Alors, alcoolisme ou culture de l’alcool ? À l’issue de la lecture du livre, on n’a toujours pas la réponse. C’est pas tellement le but. On est surtout galvanisés de cette tournée générale de tous les alcools du pays auprès de ceux qui les font, de ceux qui les boivent et de ceux qui en parlent parce que finalement, eux, ben c’est un peu nous.

J’vous remets la p’tite soeur ?


Tournée générale - La France et l'alcool
de Thomas Pitrel et Victor Le Grand
aux éditions Flammarion